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Dans les hauteurs du pays grassois, l’association Harpèges sillonne treize communes pour lutter contre l’isolement et renforcer le lien social. Alexandra Henri, coordinatrice de l’Espace de Vie Sociale Itinérant, nous ouvre les coulisses d’un engagement discret mais essentiel.
À Saint-Auban, commune perchée des Alpes-Maritimes, un véhicule aux couleurs d’Harpèges s’arrête sur la place du village. À son bord, Alexandra Henri et son équipe. Leur mission : écouter, informer, créer du lien. Pas dans un bureau, mais dans la rue, sur les places de marché, dans les salles communales. Loin des dispositifs classiques, leur action repose sur une conviction simple : aller vers les gens, là où ils vivent.
L’Espace de Vie Sociale Itinérant (EVSI), porté par l’association Harpèges, intervient dans les zones rurales du haut pays grassois. Son objectif : offrir un accompagnement de proximité à des habitants parfois coupés des services et du tissu social.
Cette proximité passe d’abord par l’écoute. « On propose des permanences itinérantes dans chaque commune », explique Alexandra Henri. Au programme : accès aux droits, soutien administratif, médiation sociale. Mais aussi et surtout, présence humaine.
L’EVSI se distingue par son nomadisme volontaire. « On fait les treize communes du haut pays grassois, de Saint-Vallier jusqu’aux plus petits villages. » Une démarche atypique, mais pensée pour s’adapter aux réalités du territoire.
Ici, la densité de population est faible. Les distances, longues. Les transports, rares. Autant d’obstacles à l’accès aux services. L’équipe d’Harpèges les contourne en allant directement sur place, à la rencontre des habitants.
Ce mode d’intervention permet de « répondre véritablement à un besoin ». Car derrière les collines et les panoramas, une autre réalité se cache : l’isolement. Certaines personnes « ne voient personne pendant plusieurs jours, voire semaines ».
Face à cette solitude silencieuse, l’équipe mobilise tous les outils possibles. « On peut proposer des ateliers couture, artistiques, des rencontres littéraires, des ciné-débats, des ateliers cuisine… »
Les thématiques varient selon les envies, les demandes, les saisons. Rien n’est figé. L’EVSI fonctionne comme un organisme vivant, en constante adaptation. « C’est à la demande et aux désidératas des personnes que l'on rencontre. » Cette souplesse est essentielle pour créer un vrai dialogue avec les habitants.
Au-delà de la simple animation, ces ateliers sont des prétextes à la rencontre. Autour d’un café ou d’un plat partagé, la parole se libère. On échange, on se découvre, on tisse des liens. La couture devient alors bien plus qu’une activité manuelle : un outil de lien social.
Dans le haut pays grassois, la beauté du paysage contraste avec la dureté de certaines conditions de vie. Le vieillissement de la population, le départ des jeunes, la fracture numérique, la précarité énergétique ou alimentaire : autant de défis que l’équipe d’Harpèges rencontre au quotidien.
Pour Alexandra Henri, l’isolement n’est pas qu’une absence de contact. C’est aussi le sentiment de ne pas compter, de ne pas être vu. En allant vers les habitants, l’équipe réaffirme une chose fondamentale : chacun a sa place.
Certaines visites révèlent des réalités poignantes. Des personnes âgées qui ne parlent à personne depuis des jours. Des familles sans accès aux services. Des jeunes sans repères. Chaque intervention devient alors un acte de reconnaissance.
Parmi les priorités identifiées par l’équipe : la précarité alimentaire. « On souhaite pouvoir proposer sur cette thématique-là des rencontres et des échanges. »
Loin de la seule distribution d’aide, la démarche vise l’autonomisation. Les ateliers cuisine, par exemple, deviennent des espaces pour partager des savoirs, redécouvrir des produits locaux, échanger des recettes économiques et saines.
Ces moments ont aussi une portée éducative et culturelle. Ils permettent de lutter contre la stigmatisation et de redonner de la valeur aux compétences de chacun. Une approche inclusive, où tout le monde a quelque chose à apporter.
L’un des objectifs majeurs de l’EVSI est de redonner du souffle à la vie collective. Dans certains villages, il n’y a plus d’épicerie, plus d’école, parfois même plus de bistrot. Les espaces de rencontre se réduisent. Or sans lien social, un territoire s’éteint.
Les actions de l’EVSI deviennent alors des réveils de sociabilité. Une projection de film, une table ronde, une fête de quartier : autant d’occasions de rassembler les habitants autour de ce qu’ils ont en commun.
Alexandra Henri insiste : il ne s’agit pas de plaquer des solutions toutes faites, mais de co-construire avec les habitants. L’écoute est au cœur de tout. « Ce sont eux qui nous disent ce dont ils ont besoin. Nous, on met en œuvre. »
L’itinérance sociale peut sembler marginale dans les politiques publiques. Elle est pourtant une réponse concrète aux défis des zones rurales. À travers l’EVSI, Harpèges montre qu’une autre approche est possible : plus humaine, plus proche, plus souple.
Cette action, discrète mais régulière, crée une dynamique. Les habitants reprennent confiance. Les élus locaux s’impliquent. Les partenariats se nouent. Le tissu social se recompose peu à peu.
À long terme, cette présence constante devient un repère, un appui, voire une lueur d’espoir pour ceux que l’administration a parfois oubliés.
Derrière cette mission, il y a un parcours, un engagement. Alexandra Henri incarne cette approche de terrain. Son rôle de coordinatrice implique une logistique complexe : planification des déplacements, coordination des ateliers, mobilisation des partenaires.
Mais c’est aussi un travail de conviction. Il faut sans cesse expliquer, valoriser, défendre l’intérêt de cette démarche itinérante. Un travail invisible, mais essentiel, pour que ces actions puissent durer.
Son regard ne trahit ni lassitude, ni résignation. Plutôt une volonté calme, patiente, de faire bouger les lignes. À sa manière, avec ses outils, elle participe à un maillage du territoire que bien des politiques publiques peinent à construire.
Dans une époque où tout va vite, l’action d’Harpèges semble aller à contre-courant. Pas de solutions miracles. Pas de chiffres spectaculaires. Mais une présence régulière, une écoute attentive, une volonté de créer du lien.
C’est dans cette constance que réside la force du projet. Il ne s’agit pas de transformer un territoire du jour au lendemain, mais de faire émerger, à petits pas, une communauté plus solidaire.
Et si c’était cela, finalement, le cœur du travail social : rendre visibles ceux qu’on ne voit plus, et leur redonner le pouvoir d’agir.
SDZ + IA