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Ambre Gaude se définit comme artiste naturaliste. Un terme qui intrigue, mais dont elle précise aussitôt les contours.
« Il y a un petit indice dans le mot, c’est-à -dire que ça a un rapport avec la nature… et moi, particulièrement en ce moment, les insectes. »
Chez elle, la nature n’est pas un simple décor : c’est un sujet, un langage, une obsession. Elle s’intéresse aux détails minuscules que l’on ne prend plus le temps de regarder : ailes de papillons, motifs d’araignées, couleurs de poissons.
« C’est le mystère qu’il y a autour de ces dessins et de ces couleurs qui me passionne. »
L’art de Gaude ne copie pas la nature : il l’interroge, la grossit, la révèle, comme un microscope poétique.
Ambre ne s’est pas improvisée artiste. Son parcours s’est construit avec cohérence, dès l’adolescence, autour de la pratique du dessin et de la peinture.
« J’ai commencé des cours de peinture hyperréalisme au collège… puis un bac arts appliqués, puis les Beaux-Arts. »
Depuis ses premières toiles jusqu’à ses œuvres les plus récentes, un fil rouge ne l’a jamais quittée : celui de l'observation du monde vivant et de la représentation minutieuse du réel.
« La ligne était bien tracée… j’ai jamais voulu faire autre chose. »
Ce cap constant est nourri d’une soif d’apprendre : Ambre explore aujourd’hui de nouveaux médiums comme la céramique, qu’elle a commencé à maîtriser récemment, dans le cadre de son travail de sculpture.
Le déclic de sa passion pour le vivant remonte à un moment d’enfance ou d’adolescence, simple et fondateur : l’envie de nommer les oiseaux du jardin de sa grand-mère.
« Et de là , c’est parti… une espèce de chasse aux trésors dans laquelle je suis rentrée, et je n’ai pas pu m’en sortir. »
De l’ornithologie à la botanique, puis aux insectes, c’est toute une chaîne d’émerveillements qui s’est mise en place. Chaque découverte appelle la suivante, dans un cycle d’attention et de création sans fin.
Sa méthode, Ambre Gaude la décrit avec précision. Avant toute œuvre, il y a l’observation sur le terrain. Ce passage est central.
« J’aime bien dire que c’est : aller sur le terrain, regarder, dessiner pour observer, et créer pour montrer. »
Ce lien direct avec l’animal ou la plante observée, dans son milieu naturel, est ce qui donne à son travail cette précision scientifique et cette vibration poétique. Elle suit les papillons, note leurs mouvements, observe la façon dont ils se posent.
« Je vais sur le terrain pour voir comment le papillon vole… pour me rendre compte de la taille qu’il a. »
Le vivant n’est pas figé : il est en mouvement, contextuel, incarné. Et Ambre s’efforce de restituer cette vie jusque dans ses œuvres plastiques.
Pour passer de l’observation à la création, Ambre commence souvent par un dessin scientifique, réalisé à l’aide d’une rigueur presque naturaliste.
« Sur le dessin scientifique, on n’a pas le droit de tricher… on est obligé d’être très précis. »
Cette exigence d’exactitude n’est pas gratuite : elle lui permet de voir ce que l’œil pressé ne perçoit pas. Ce processus d’illustration devient ainsi une forme de connaissance intime du sujet.
« On voit des choses qu’on ne verrait pas si on regardait l’insecte pendant 30 secondes. »
Mais ce dessin n’est qu’une étape. De là , Ambre extrait un motif, une forme, une structure qu’elle va intégrer dans une œuvre plastique plus libre.
Dans ses tableaux comme dans ses sculptures, Ambre adopte un geste radical : elle agrandit.
« Je grossis pour presque obliger les gens à regarder ce qu’ils n’ont pas l’habitude de regarder. »
Il s’agit pour elle d’attirer l’attention sur l’invisible, de forcer un regard nouveau sur des formes que nous croisons sans les voir. C’est un art du détail, mais aussi une pédagogie du regard.
« La photo ne va pas rester très longtemps dessus… peut-être pas à la bonne grosseur pour voir les couleurs du papillon. »
Ses œuvres deviennent alors des objets de contemplation, où chaque tâche, chaque teinte raconte un monde.
Le paradoxe de son œuvre réside là : à partir d’une observation extrêmement rigoureuse, Ambre produit des formes qui semblent abstraites, presque symboliques.
« Je dessine les moindres petites taches… exactement les mêmes que sur le sujet… mais au final, ça fait une œuvre complètement abstraite. »
Ce flou entre le réel et l’abstraction, entre le scientifique et l’imaginaire, est au cœur de son esthétique. Il donne naissance à des objets hybrides, entre représentation et réinvention.
Sa dernière série ? Trois sculptures d’abdomen d’araignées, inspirées notamment de l’Épeire diadème, rencontrée dans son jardin et dans le Mercantour.
« Quand on les regarde, elles ont des motifs très mystérieux… qui me donnent envie de les retranscrire. »
Pour cette œuvre, elle a appris la céramique et l’émail en seulement six mois. Une prouesse technique, rendue possible par la passion et l’urgence de créer.
« C’est trois sculptures cuites deux jours avant l’exposition. »
Elles associent céramique émaillée et bois tourné, réalisés en collaboration avec un menuisier. L’art naturaliste d’Ambre est aussi un art collaboratif et artisanal.
Si Ambre reste attachée à sa ville natale, Nice, où elle a tout construit, elle prépare une transition.
« C’est une ville que je porte dans mon cœur… mais je vais la quitter pour aller au plus proche de la source de mon inspiration. »
Direction : le Mercantour, territoire montagneux et sauvage, riche en biodiversité, qui alimente déjà depuis plusieurs années son travail. Là -bas, elle pourra vivre plus près des espèces qu’elle observe, dans un quotidien plus lent, plus propice à la création.
Ambre Gaude inscrit son œuvre dans une double exigence : scientifique et poétique. Ses papillons géants, ses araignées sculptées, ses peintures texturées nous interrogent sur notre capacité à regarder le monde autrement. À l’heure de l’urgence écologique, sa démarche invite à une forme de réconciliation avec le vivant, par l’attention, la lenteur, la beauté.
Son art ne cherche pas à impressionner, mais à rendre visible l’invisible. À montrer que dans les nervures d’une aile ou les taches d’un abdomen se cache un univers complet, fragile, fascinant. Et qu’il suffit parfois d’un œil attentif — ou d’un pinceau — pour le révéler.
DB+IA 09/10/2025