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Depuis plus de trente ans, Claude Garrandès s’attache à rendre l’art accessible aux personnes empêchées de le percevoir. Président de l’association Arrimage, il milite avec conviction pour que les personnes non ou malvoyantes aient non seulement accès aux œuvres, mais deviennent elles-mêmes créatrices. Rencontre avec un passeur d’images et de sens.
Claude Garrandès commence par une réflexion qui en dit long sur sa vision du monde : « On n’est jamais les premiers dans rien. En fait, on est toujours issus de filiation. » Loin d’une posture d’exception, l’homme s’inscrit dans une continuité, celle des artistes, des pédagogues, des militants culturels qui ont œuvré, avant lui, à élargir les horizons de l’art.
Claude Garrandès est né le 16 août 1955 à Nice, dans les Alpes-Maritimes. Non-voyant depuis l’âge de 12 ans, il devient peintre, sculpteur, céramiste, éditeur, inventeur, et s’investit activement dans le domaine associatif. Retraité de l’enseignement, il consacre aujourd’hui l’essentiel de son énergie à un combat qui le passionne : l’accessibilité de l’art.
Il se présente simplement : « Mon nom, c’est Claude Garrandès. Ma passion, c’est essayer de communiquer ce que j’aime aux autres, et en particulier l’art. » Un art qu’il ne conçoit pas comme une expérience réservée à une élite, mais comme une source d’émotion, d’imaginaire et de création, ouverte à tous.
En 1992, Claude Garrandès fonde l’association Arrimage à Nice. Il en est le président depuis sa création. L’ambition est claire : « Elle a été créée pour essayer de transmettre l’art aux personnes qui en étaient empêchées. » Parmi ces publics souvent exclus : les personnes non-voyantes ou malvoyantes.
Le diagnostic est sans appel : « Les personnes non-voyantes ont malheureusement très peu accès aux œuvres d’art. » Pourtant, Claude refuse la résignation. Au contraire, il cherche sans relâche des moyens pour faire tomber les barrières sensorielles qui cloisonnent encore trop l’expérience artistique.
En travaillant avec des publics déficients visuels, Claude Garrandès a vu de ses propres yeux ce que l’art peut provoquer, même – et peut-être surtout – quand il est rendu tactile, sonore, imagé autrement. « Je suis heureux de voir que c’est une vraie possibilité pour quelqu’un qui n’y voit pas. »
Grâce à des dispositifs adaptés, des livres en relief, des dessins thermoformés, des sculptures pensées pour la main, l’accès devient réel. Et les résultats sont touchants : « Ça leur permet d’enrichir leur imaginaire et ils y trouvent un grand, grand plaisir. »
Ce plaisir, cette joie de découvrir, d’imaginer, de ressentir, sont au cœur de l’engagement de Claude. Il ne s’agit pas seulement de rendre visibles des objets d’art, mais de permettre à chacun d’y projeter son monde, d’y trouver un écho personnel.
Pour Claude Garrandès, l’art est d’abord affaire de partage. Il ne le conçoit pas comme un geste solitaire, mais comme un lien, une transmission. « Partager une passion, c’est toujours quelque chose de fort. »
Ce partage se manifeste à travers les ateliers que mène l’association Arrimage, à travers les rencontres avec des publics très divers, à travers la mise en commun d’expériences sensorielles. Loin des musées silencieux, l’art devient ici une aventure collective, un lieu d’échange.
Mais au-delà de l’accès, Claude Garrandès poursuit un objectif plus ambitieux encore. « Ce qui m’intéresse vraiment, ce n’est pas tant offrir aux personnes non-voyantes des choses déjà existantes, comme les livres que nous faisons, etc. Ce qui m’intéresse surtout, mon but, c’est d’arriver à faire que des personnes mal ou non-voyantes comprennent que l’art leur est accessible. »
Il ne s’agit plus seulement de transmettre des œuvres ; il s’agit de transmettre un pouvoir : celui de créer. Claude veut faire passer un message essentiel : l’art n’est pas réservé à ceux qui voient. Il est une faculté universelle, une énergie humaine.
Il faut alors inventer des outils, des langages, des formes nouvelles. Il faut déconstruire l’idée selon laquelle voir serait une condition pour comprendre, ressentir ou inventer.
Et Claude d’enfoncer le clou : « Ils peuvent être eux aussi vecteurs et porteurs de création. » Ce qu’il défend, c’est une conception active, inclusive, et profondément démocratique de l’art.
À travers son travail, il offre aux personnes déficientes visuelles la possibilité non seulement d’explorer des œuvres, mais aussi de devenir elles-mêmes artistes. L’association Arrimage les encourage à exprimer leur monde, à affirmer leur regard singulier sur les choses, même sans la vue.
Dans ce cadre, la main devient œil, le toucher devient langage, l’expérience sensorielle s’élargit. Loin d’une approche déficitaire, Claude mise sur les ressources sensorielles, imaginaires, affectives de chacun.
Ce que porte Claude Garrandès, c’est une vision éthique de l’art. Il le considère comme un droit fondamental : le droit de chacun à créer, ressentir, comprendre. Une vision qui résonne avec les grands principes de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
En ce sens, son travail s’inscrit dans un mouvement plus large, qui milite pour une accessibilité universelle à la culture. Mais Claude n’est pas un théoricien. C’est un praticien, un homme de terrain, un bâtisseur.
Malgré la pertinence de son combat, Claude Garrandès reste relativement peu médiatisé. Son action, pourtant, est exemplaire. Elle ouvre des voies nouvelles, interroge les normes esthétiques, et bouscule les hiérarchies sensorielles.
Elle pose une question simple et puissante : pourquoi l’art serait-il réservé à ceux qui voient ?
À travers son engagement, Claude Garrandès développe une véritable pédagogie de l’émancipation. Il ne donne pas des clés toutes faites, mais il crée les conditions d’une appropriation. Il encourage les personnes à se réapproprier leur capacité à sentir, imaginer, représenter.
Loin de l’assistanat, c’est une logique d’autonomie qu’il défend. Et c’est peut-être là que réside la plus grande force de son action.
En conclusion de son entretien, Claude rappelle avec simplicité l’évidence qui guide son travail : « L’art est quelque chose d’accessible à tous. » Cette phrase, il ne la prononce pas comme un slogan, mais comme une conviction profonde.
Elle résume à elle seule des décennies d’engagement, de patience, de recherche, d’expérimentation. Elle dit aussi un rêve : celui d’un monde où chacun, quelle que soit sa condition, puisse se sentir légitime dans la création.
À l’heure où l’on parle de plus en plus d’inclusion et d’accessibilité, le parcours de Claude Garrandès apparaît comme un repère précieux. Il montre que l’on peut, concrètement, faire évoluer les pratiques, les mentalités, et les institutions.
Il prouve que l’art peut être un terrain d’invention sociale, un levier d’égalité, un moteur d’émancipation.
Claude Garrandès a fait du regard une affaire d’imagination. Il rappelle que voir, ce n’est pas seulement percevoir avec les yeux. C’est aussi sentir, deviner, rêver, comprendre. Et que cette capacité-là, chacun l’a en lui.
Son parcours invite à penser un art plus large, plus ouvert, plus humain. Un art qui ne soit pas l’affaire de quelques-uns, mais la richesse de tous.
SDZ + IA