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On les croit bêtes ou obstinés. Et pourtant. À Fréjus, Éric-Bruno Tourette consacre sa vie à démontrer tout le contraire. À la tête de l’association Tis’Ânes, il accueille et soigne une trentaine d’ânes, souvent rescapés d’abandon, et les intègre dans des projets de médiation, notamment auprès de personnes en situation de handicap. Portrait d’un homme qui a fait de la réhabilitation de l’âne une mission de vie.
Quand Éric-Bruno Tourette parle de ses ânes, on l’écoute comme on écouterait un conteur. Sauf qu’ici, rien n’est fabulé. L’âne, dit-il, est un animal mal compris. « On nous dit qu’un âne n’est pas très intelligent ou est têtu, mais c’est qu’il a une observation du terrain complètement différente de la nôtre », explique-t-il. Loin d’être borné, l’âne analyse. Son large champ de vision – plus de 300 degrés – lui permet de détecter des dangers que nous ne voyons pas. Il agit par précaution, pas par entêtement.
Cette faculté à percevoir ce que l’humain ignore fait de lui un compagnon fiable mais exigeant : il faut savoir le comprendre, l’écouter. Un défi que relève Éric chaque jour depuis plus de trois décennies.
Tout commence il y a plus de 30 ans. Dans la famille Tourette, les animaux ont toujours eu leur place. Mais avec les ânes, le lien est particulier. « C’est avant tout une passion. Et de sauver des ânes, surtout, c’était très important pour nous. »
Ce n’est pas un élevage. Éric insiste : « On ne fait pas d’élevage d’ânes. » Et pourtant, il en héberge une trentaine. « Ce sont beaucoup d’ânes qu'on a récupérés ou qu’on a essayé de sauver à plusieurs reprises. » Des sauvetages, souvent in extremis, qui confèrent à Tis’Ânes une vocation presque humanitaire : offrir une seconde vie à ces animaux maltraités ou abandonnés.
En 2017, un nouvel arrivant va cristalliser toutes les attentions : Félix. « C’est un gros bébé, la mascotte de Tis’Ânes », sourit Éric en le montrant du doigt. À l’époque, l’arrivée de ce jeune âne marque un tournant dans le projet associatif. Félix incarne à lui seul la douceur et la capacité d’empathie de l’âne. « Le projet a tourné autour de lui », raconte Éric. C’est à partir de lui que les actions de médiation se développent plus fortement.
Aujourd’hui, Félix a neuf ans. Il est au centre des activités de médiation et d’asinothérapie proposées par l’association.
La médiation animale n’est pas un concept nouveau, mais l’âne y est rarement associé. Pourtant, à Fréjus, il devient acteur à part entière de l’accompagnement des personnes en situation de handicap.
Tis’Ânes propose des activités variées : balades, soins, promenades en calèche. Certaines de ces calèches sont conçues pour accueillir des enfants lourdement handicapés. Loin des sentiers battus, ces enfants peuvent découvrir la montagne, tirés lentement mais sûrement par un âne. « Ce sont des instants précieux, où le lien se crée dans la lenteur, la proximité, le respect mutuel. »
Cette approche s’enracine dans une histoire familiale : « Beaucoup de gens de ma famille travaillent dans le monde du handicap, et on a toujours eu un petit truc pour ce genre de choses. »
L’âne, à l’image du cheval, capte les émotions. C’est ce qui en fait un formidable outil thérapeutique. Mais là où le cheval impressionne, l’âne rassure. Il est plus lent, plus calme, moins imposant. Sa douceur, son regard, sa façon de rester à l’écoute rendent possible des connexions profondes, notamment chez des enfants autistes ou anxieux.
Dans les séances proposées par Tis’Ânes, l’âne devient un médiateur émotionnel. Il aide à exprimer ce qui est parfois enfoui. Il ne juge pas. Il accueille.
Si les balades avec ânes peuvent évoquer les cartes postales des vacances rurales, la démarche d’Éric-Bruno Tourette est tout sauf folklorique. Il s’agit d’un engagement éthique, durable, enraciné dans le respect de l’animal et dans la volonté de réparer.
« On ne cherche pas à en faire des attractions. Ce sont des êtres vivants qui ont une histoire, souvent douloureuse. »
Cette conscience guide chaque action de Tis’Ânes. Les ânes sont soignés, éduqués avec patience, intégrés progressivement aux activités. Aucun animal n’est forcé à participer.
La phrase revient comme un mantra. Non, l’âne n’est pas têtu. Il est prudent. Il choisit. Et c’est précisément ce que Tis’Ânes veut transmettre au public : un changement de regard. Comprendre que cet animal, caricaturé à l’extrême, possède en réalité une sagesse discrète, une intelligence de terrain, une empathie naturelle.
À Fréjus, Éric-Bruno Tourette et ses compagnons à grandes oreilles continuent d’avancer, pas à pas. À contre-courant des idées reçues. À hauteur d’âne.
DB+IA 16/05/2025