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À première vue, rien ne distingue François Thomas d’un habitant ordinaire de banlieue. Pourtant, derrière la façade discrète de son atelier, il se livre à une activité aussi insolite que poétique : la sculpture à partir de matériaux de récupération. « Je récupère un maximum. Je dois acheter des matériaux pour pouvoir confectionner mes sculptures, mais en gros de la récupération », confie-t-il.
Son terrain de chasse favori ? Les poubelles. « Ce que je trouve dans les poubelles, ce que les gens jettent, moi je récupère... Des fois, c’est mon bonheur à moi, quoi. » Là où d'autres ne voient que débris et rebuts, François perçoit des formes, des lignes, des volumes. Une aptitude à voir au-delà de l'objet, nourrie par des années de passion artisanale.
Avant de devenir sculpteur, François Thomas a connu une autre vie, sucrée celle-là. « Mon métier premier, c’est la pâtisserie », glisse-t-il, presque avec pudeur. Mais c’est un tout autre matériau que le sucre ou le chocolat qu’il manie aujourd’hui : la ferraille.
Ce changement de cap, loin d’être radical, s’est imposé naturellement. D’abord motivé par un besoin personnel : « Je cherchais à faire un meuble pour moi. Fer et bois. Ça a commencé comme ça. » Un meuble de télévision né de ses propres mains, suivi d’autres pour ses amis. Puis, de fil en aiguille, une production plus soutenue, avant une pause forcée : « Après, j’ai arrêté parce que j’avais un problème de dos. Alors les meubles devenaient un peu compliqués à déplacer. »
Ce tournant marque le passage de l’utilitaire au sculptural, du meuble au bestiaire métallique.
François Thomas s’est créé un univers. Celui des profondeurs marines. « Je présente des poissons, des bancs de poissons, des poissons faits à base de pierre de Gagne », dit-il avec simplicité. Ses œuvres, assemblées à partir de fer rouillé, de pierres, de clous ou de ressorts, convoquent un monde aquatique fait d’escargots, de poulpes et de crabes.
Mais pourquoi cet attachement au monde marin ? Peut-être pour sa richesse de formes, ou pour cette manière qu’ont les créatures marines de se mouvoir avec souplesse, en opposition apparente avec la raideur du métal. C’est tout le paradoxe de son travail : faire naître la légèreté à partir de la rigidité.
Le processus créatif de François repose sur une intuition immédiate. « Ce que je trouve, quand je le prends, je l’ai déjà en tête à peu près ce que je vais en faire. » Chaque pièce de métal, chaque fragment de pierre ou bout de grillage inspire une silhouette, une idée, un mouvement.
C’est dans cette capacité à deviner le potentiel de l’objet délaissé que réside sa force artistique. Une sorte de regard magique, qui précède le geste. Une fois l’idée en place, le sculpteur se met à l’œuvre dans son petit atelier, où tout est conçu à la main, dans un silence habité.
Le travail de François est tout sauf figé. La création est un processus mouvant, organique. « Je commence les piliers. Ça évolue au fur et à mesure, ça prend forme. » Le métal se tord, se plie, se soude, se transforme. L’atelier devient une scène où s'opère la métamorphose.
Il n’utilise qu’un minimum d’outils : « Moi j’ai un fer à souder à l’arc, ça électrique. Et voilà. Après, je plie toute la ferraille à la force, pas au poignet. Je mets du dernier des fois pour avoir un peu plus de force. » Aucun appareil sophistiqué, pas de forge. Juste la volonté, la technique acquise par la pratique, et une bonne dose d’endurance.
La démarche de François s’inscrit dans une logique de durabilité. Il ne s’agit pas simplement de faire de l’art avec des déchets, mais de donner une seconde vie à ce que la société considère comme inutile. Dans un monde saturé par la production industrielle et le gaspillage, son travail fait figure de résistance silencieuse.
Loin de toute revendication écologique affichée, François agit avec humilité. Son geste est d’abord personnel, presque intime. Un plaisir qu’il tire de la découverte, du façonnage, de l’assemblage. Et pourtant, ses œuvres racontent quelque chose de notre rapport au monde : notre capacité à voir du beau dans l’abandonné.
Derrière son atelier, François a recréé un univers à lui. Un espace modeste, sans prétention, mais chargé de sens. Là, il travaille seul, dans une concentration qu’on devine quasi méditative. « Un petit coin tranquille », dit-il. C’est dans ce calme que naissent ses pièces les plus saisissantes.
Le lieu n’est pas un showroom. Il est le prolongement de sa main, de son regard. Un endroit où chaque vis, chaque boulon peut devenir le point de départ d’une sculpture. C’est aussi un lieu de patience, car chaque pièce demande du temps, de l’essai, de l’ajustement.
Le parcours de François Thomas échappe aux schémas habituels de l’art contemporain. Pas de galerie, pas d’exposition institutionnelle. Ses créations circulent entre amis, amateurs, parfois visiteurs curieux. Il ne revendique rien, ne cherche pas la reconnaissance, mais suit sa propre voie, libre.
Cela ne l’empêche pas d’avoir une signature : un style immédiatement reconnaissable, nourri d’un imaginaire aquatique et d’un sens aiguisé de la forme. Son bestiaire métallique, loin d’être figé, continue de s’enrichir au fil de ses trouvailles.
Au fond, ce que fait François Thomas ne peut être dissocié de la passion. C’est elle qui l’a guidé du glaçage de gâteaux à la soudure de poissons. C’est elle qui lui fait soulever la ferraille, jour après jour, malgré les douleurs au dos, malgré la fatigue.
Et c’est aussi elle qui transparaît dans chacune de ses œuvres. Des sculptures modestes, mais habitées. Des objets inertes, mais pleins de mouvement. Des déchets, mais pleins de vie.
François Thomas, avec ses moyens simples et son regard affûté, nous rappelle que l’art peut surgir là où on ne l’attend pas. Dans les rebuts, dans le métal tordu, dans les objets rouillés. Il suffit de savoir regarder. Son travail est une invitation à reconsidérer notre rapport aux choses, à la matière, et à ce que nous croyons perdu.
En redonnant vie à la ferraille, il sculpte bien plus que des formes : il forge un imaginaire, personnel et collectif, où la récupération devient création, et la contrainte, une source de liberté.
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