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À Saint-Vallier, dans la Drôme, un jeune apiculteur perpétue l’histoire familiale en transhumant ses ruches au gré des floraisons. Rencontre avec Gautier Coquelet de Rucher de Cheiron, troisième génération d’apiculteurs passionnés.
Derrière ce nom au parfum de terroir et d’histoire, il y a un visage jeune, un regard calme et déterminé, et une passion ancienne comme le miel. Gautier Coquelet de Rucher du Cheiron représente la troisième génération d’apiculteurs dans sa famille. « Mon grand-père a commencé, puis mon père, et maintenant c’est moi qui ai repris l’affaire familiale », explique-t-il avec une simplicité désarmante.
Dans le paysage vallonné de Saint-Vallier, ses ruches s’éparpillent au rythme des saisons. Gautier incarne une forme de continuité apaisante, loin du tumulte des villes. Chez lui, les abeilles ne sont pas qu’un métier, ce sont des compagnes de route, des alliées essentielles dans une aventure familiale et humaine.
Ce qui distingue Gautier, c’est son rapport au mouvement. Chez lui, l’apiculture est nomade. La transhumance des ruches est une pratique agricole traditionnelle qui consiste à déplacer les colonies d’abeilles selon les floraisons. « On fait différentes variétés de miel car on transhume les ruches », explique-t-il.
Derrière cette méthode, il y a une grande exigence logistique : partir le soir, charger les ruches à la fraîche, les transporter sur des kilomètres et les installer au petit matin. Mais surtout, il y a une lecture fine du territoire et du climat. Gautier n’est pas seulement apiculteur, il est aussi météorologue, botaniste, logisticien. Il suit les floraisons comme d’autres suivent les cartes marines.
Du miel d’acacia aux senteurs délicates, au miel de montagne plus robuste, en passant par la lavande de Valensole ou la sarriette plus rare, Gautier cultive une véritable palette gustative. « On va jusqu’en Isère pour faire de l’acacia. On va sur Valensole, sur les grands champs de lavande… », énumère-t-il.
Chaque variété demande un déplacement précis, au bon moment. Trop tôt, la floraison n’a pas commencé. Trop tard, elle est passée. À cela s’ajoute la météo, dont le rôle est central. « Il nous faut de la pluie, du soleil... on peut se prendre un orage de grêle et ça peut casser les plantes d’acacia, et du coup on ne fera pas d’acacia cette année », explique-t-il.
Cette incertitude constante ne décourage pas Gautier, bien au contraire. Elle fait partie intégrante du métier, un jeu permanent avec la nature et ses humeurs.
La voix de Gautier se fait plus douce lorsqu’il évoque son enfance. « Depuis tout petit, je n’ai jamais travaillé avec mon père », confie-t-il. Une phrase presque anodine qui en dit long : le choix de rejoindre l’exploitation n’a pas été une évidence immédiate, mais une maturation. Il y a quatre ans, il décide de reprendre les rênes. Et depuis, il s’y consacre entièrement.
Cette passion ancrée se retrouve dans son engagement : il ne se contente pas de produire du miel, il le fait connaître, le défend et le partage. Sur les marchés, lors d’événements, il va à la rencontre du public. « Ça permet de se faire connaître pendant les gros événements », dit-il. Là encore, l’humain est au centre. Le produit est le vecteur d’une rencontre, d’une histoire racontée pot après pot.
Dans un monde où la biodiversité s’effondre, l’apiculture devient un acte presque militant. Les abeilles sont aujourd’hui des indicateurs précieux de la santé de nos écosystèmes. Les protéger, c’est préserver bien plus qu’une tradition.
Le travail de Gautier s’inscrit ainsi dans une double temporalité : celle de ses ancêtres, dont il perpétue les gestes, et celle de demain, qu’il prépare avec conscience. Ses miels ne sont pas seulement savoureux ; ils sont aussi les témoins d’un territoire, d’un climat, d’une saison. Ils racontent les variations subtiles d’une année sur les plantes et les fleurs, et l’attention d’un homme à leur service.
Le quotidien d’un apiculteur transhumant n’est pas de tout repos. Les soirées sont longues, les nuits courtes. « On y va le soir quand le soleil se couche, on va dans les ruches, on ferme les grilles devant les ruches et après on les charge sur un 4x4 et une remorque », décrit Gautier.
Le geste est précis, répété des centaines de fois, mais il ne s’y habitue jamais tout à fait. Chaque transhumance est une aventure. Il faut gérer le stress des abeilles, les contraintes de la route, les aléas météorologiques. Une ruche déplacée, c’est un microcosme transporté. Une vie entière en mouvement.
Loin de l’image figée que l’on peut avoir du miel, celui de Gautier est en perpétuelle évolution. Chaque pot contient une histoire, un lieu, une période. C’est un produit vivant, qui se transforme avec le temps, selon les fleurs butinées, la météo, les déplacements.
Ce travail de précision, de respect du vivant, exige une sensibilité rare. Gautier ne force jamais la nature. Il l’écoute, la suit, l’accompagne. C’est cette attitude qui fait de lui un apiculteur à part. Pas un industriel du miel, mais un artisan de la ruche, un poète du pollen.
Aujourd’hui, Gautier regarde l’avenir avec lucidité. Les défis sont nombreux : changement climatique, concurrence déloyale du miel importé, mortalité des abeilles. Mais il garde confiance. Sa jeunesse, son engagement, sa connaissance du métier sont ses meilleurs atouts.
Il continue de développer ses produits, d’affiner ses techniques, de transmettre sa passion. Il rêve peut-être de former à son tour, un jour, une nouvelle génération. En attendant, il butine les opportunités comme ses abeilles les fleurs.
Gautier Coquelet de Rucher de Chiron incarne une forme de modernité enracinée. Il n’oppose pas tradition et innovation, mais les fait dialoguer. Son métier, à la fois ancien et en constante adaptation, le place au cœur d’un écosystème qu’il respecte et enrichit.
En reprenant l’affaire familiale, il ne s’est pas contenté de reproduire. Il a investi de sa personne, de ses idées, de sa rigueur. Il a donné un nouveau souffle à un savoir-faire, en restant fidèle à l’esprit de ses prédécesseurs.
Son miel est le reflet de cette alchimie : une douceur patiemment élaborée, au goût de fleurs, d’effort, et d’amour du métier.
Gautier Coquelet de Rucher de Chiron, apiculteur transhumant de Saint-Vallier, fait de chaque pot de miel un manifeste silencieux pour un monde plus respectueux du vivant.
SDZ + IA