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Le lieu est atypique, chargé d’histoire et de contrastes. Là où autrefois régnaient le silence et la solennité d’une morgue, résonnent désormais les couleurs vives et les compositions poétiques de Grégory Berben. Installé au Suquet des Artistes, ce site transformé par la ville de Cannes en ateliers et salles d’exposition accueille celui qui se présente simplement comme « artiste peintre à Cannes ».
Mais derrière cette modestie, se cache un parcours fait de passion, de transition professionnelle et d’inspirations urbaines.
Grégory Berben n’a pas toujours été peintre. Avant de plonger à plein temps dans l’art, il menait une autre vie, celle de professeur de tennis. Une existence sportive, certes, mais éloignée des pinceaux, des colles et des papiers déchirés qui caractérisent aujourd’hui son travail.
Le déclic survient en 2009, lorsqu’il parvient à vendre une de ses œuvres à une figure mythique de la Côte d’Azur : Jeanne Augier, propriétaire du célèbre hôtel Negresco à Nice. Ce moment est fondateur. Il raconte :
« C’est elle qui m’a vraiment donné l’envie de switcher, de passer, essayer de tenter cette carrière professionnelle. »
Une bascule, mais pas un saut dans l’inconnu. Car l’art a toujours été présent dans sa vie. Depuis 1997, il peignait déjà en amateur. Et même avant cela, il passait des heures à dessiner, copier des bandes dessinées, à juxtaposer des éléments, déjà en quête de composition.
Ce qui distingue le travail de Grégory Berben, c’est son attachement au réel, à la matière brute, à ce que la ville abandonne. Son médium de prédilection : le collage d’affiches déchirées, trouvées dans les rues de Cannes.
« Je vais dans les rues arracher les affiches, surtout dans les panneaux d’affichage libre, et ensuite je fais des compositions avec les couleurs, avec le regard. »
La démarche est à la fois instinctive et réfléchie. Il ne s’agit pas seulement d’assembler des morceaux de papier, mais de faire émerger du sens, de jouer avec les textures, les formes, les images fortuites. Une méthode qui n’est pas sans rappeler son enfance :
« Je dessinais beaucoup quand j’étais petit, mais je composais. Comme je n’arrive pas trop à dessiner sans modèle, je prenais des bédés, je mettais un personnage avec un autre, et je faisais des compositions. »
L’inspiration, chez lui, naît souvent de l’inattendu. Ce n’est pas l’artiste qui dicte à la rue ce qu’il veut, mais la rue qui lui propose des éléments avec lesquels il va jouer.
« L’idée, c’est d’essayer de tomber sur des pépites : un regard, un dessin, un palmier… des choses qui vont bien agrémenter les tableaux. »
Cette cueillette visuelle, il la complète par l’écoute. L’actualité, les discussions avec les passants, les récits de vie viennent nourrir ses créations. Loin d’un art replié sur soi, Berben cultive une forme de porosité au monde, une attention aux histoires intimes comme aux mouvements collectifs.
L’artiste évoque notamment une série née d’un échange simple avec une personne âgée. Le geste d’une main, une anecdote, une expression suffisent parfois à déclencher une série de toiles.
« C’était une discussion avec une personne âgée qui me racontait sa vie en faisant ce geste-là devant mes yeux. Et de là, j’ai commencé à faire ces tableaux "tranches de vie". »
C’est là que réside peut-être la force émotionnelle de son travail : dans cette capacité à capter l’humain derrière l’image, à assembler des fragments de réel pour en restituer une narration sensible.
Le style de Grégory Berben ne se laisse pas enfermer dans une seule catégorie. Il emprunte autant à l’art urbain qu’au pop art, au réalisme poétique qu’à l’abstraction accidentelle. Le collage, dans sa version la plus brute, devient un outil de construction de mémoire et de dialogue social.
Par sa pratique, il s’inscrit dans la lignée des artistes qui explorent les marges de la ville et qui font de l’espace public un réservoir de matières premières artistiques. À l’heure où les images circulent à toute vitesse sur les réseaux, lui choisit des éléments éphémères, souvent oubliés, pour leur redonner une seconde vie.
Cannes n’est pas seulement son atelier. C’est son terrain d’exploration, son « musée à ciel ouvert ». Il arpente ses rues, collecte ses traces, et en extrait une esthétique propre, entre documentaire et fiction visuelle.
Son travail devient une manière de raconter l’âme d’une ville, non pas dans ses clichés balnéaires, mais dans ce qu’elle offre de plus organique : ses murs, ses affiches, ses habitants.
Grégory Berben appartient à cette génération d’artistes qui réinventent les frontières entre l’art et la rue, entre la galerie et le quotidien. À travers ses collages, il propose un regard à la fois critique et poétique sur le monde qui l’entoure.
Et si ses œuvres trouvent aujourd’hui leur place dans des espaces d’exposition, leur origine reste humble et vibrante, comme une affiche oubliée, un regard croisé, ou une histoire racontée au détour d’une rue.
RS + IA
30 août 2025