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Au Festival du Livre de Mouans-Sartoux, Jean-Charles Huver incarne une autre idée de l’éducation. Enseignant et éditeur engagé, il milite pour la pédagogie Freinet, un mouvement qui place l’enfant au cœur de l’apprentissage. Témoignage d’un acteur discret, mais déterminé à changer l’école.
Dans les allées du Festival du Livre de Mouans-Sartoux, un stand détonne. Celui de l’Institut Coopératif de l’École Moderne (ICEM), mouvement pédagogique fondé sur les principes de la pédagogie Freinet. Jean-Charles Huver y est présent comme chaque année, à la fois enseignant et co-responsable d’une maison d’édition liée à ce courant éducatif.
Avec calme, il pose le décor : « Et bien si effectivement l'école, par exemple, s'appuyait plus sur des mouvements comme le nôtre ou comme le GFEN, les Ceméa… le monde de demain aurait peut-être un avenir radieux. » À ses yeux, l’enjeu est immense : il ne s’agit pas seulement de réformer l’école, mais de repenser en profondeur le lien entre éducation et société.
Le choix de ce festival, qui célèbre cette année sa 38e édition, n’a rien d’anodin. L’événement rassemble éditeurs, auteurs, enseignants, citoyens. Un terreau fertile pour diffuser des idées éducatives alternatives.
« Nous sommes là pour présenter nos éditions », explique Jean-Charles Huver, « à la fois pour les adultes, et des revues pour enfants, de la maternelle jusqu’à la cinquième. » L’ICEM publie ainsi des supports pédagogiques conçus avec et pour les élèves, dans une logique de coopération.
Le nom peut paraître austère. Pourtant, il résume un siècle de pratiques innovantes. La pédagogie Freinet naît dans les Alpes-Maritimes, au XXᵉ siècle, sous l’impulsion d’un couple d’enseignants : Élise et Célestin Freinet. Leur intuition est simple : les enfants n’apprennent bien que lorsqu’ils sont réellement impliqués.
« C’est un mouvement centré sur l’enfant », rappelle Jean-Charles. Un postulat qui peut sembler évident, mais qui reste en décalage avec de nombreuses pratiques scolaires actuelles.
Dans les années 1920, Célestin Freinet observe que les méthodes d’enseignement traditionnelles ne fonctionnent pas. Il propose alors d’inverser les rôles : partir de l’enfant, de ses questionnements, de son expression, plutôt que d’un programme figé et descendant.
Jean-Charles Huver en est convaincu : cette philosophie est toujours d’actualité. Il déplore que l’école reste trop souvent enfermée dans des logiques descendantes, où l’enfant est passif. Or, dit-il, « les enfants n'étaient jamais au centre vraiment du travail de la classe ».
Contrairement à une idée reçue, la pédagogie Freinet n’est pas réservée à des établissements expérimentaux. Elle est pratiquée dans l’école publique, de la maternelle au lycée, y compris en enseignement professionnel.
Huver insiste : « Ça fonctionne… mais aussi à la faculté, et aussi en dehors de l'école, par exemple à la crèche, ou en bas de tours HLM, avec des éducateurs, des éducatrices. »
Cette transversalité montre la souplesse de la méthode. Ce n’est pas une « recette », mais une posture, un rapport à l’autre, à l’apprentissage, à la parole.
L’un des apports majeurs de cette pédagogie est sa capacité à sortir de l’enceinte scolaire. On la retrouve dans des lieux variés : crèches, centres sociaux, ateliers d’écriture, maisons de quartier. Partout où il est question de transmettre et d’apprendre autrement.
Jean-Charles Huver le rappelle : « C’est une pédagogie qui s’applique bien plus largement qu’au monde de l’école qu’on connaît en France. » Une manière de dire que l’éducation ne se limite pas à l’école, et que les méthodes d’apprentissage doivent se réinventer dans tous les espaces de vie.
Sur leur stand, les ouvrages ne manquent pas. Livres théoriques, revues pour enfants, cahiers d’expériences. Tout est conçu pour favoriser l’expression libre, la coopération, l’esprit critique.
Huver souligne l’importance de ces supports : « Ce sont des éditions pour adultes, pour se former à la pédagogie, mais aussi des revues pour les enfants eux-mêmes. » Une pédagogie vivante ne peut se transmettre sans outils adaptés, construits dans la même logique que les principes qu’ils véhiculent.
Derrière l’engagement de Jean-Charles Huver, une conviction forte : l’école ne peut pas se contenter de transmettre des savoirs. Elle doit permettre à chacun de se construire comme individu, de comprendre le monde, de le questionner.
La pédagogie Freinet propose des dispositifs concrets : le texte libre, le conseil coopératif, les correspondances interclasses, le journal scolaire. Autant de leviers pour que l’élève ne soit plus un simple récepteur, mais un acteur.
À l’écart des projecteurs médiatiques, les acteurs de la pédagogie Freinet poursuivent leur travail. Ils forment, éditent, accompagnent, créent des réseaux. Dans un paysage éducatif souvent polarisé, leur voix se veut posée mais déterminée.
Jean-Charles Huver incarne cette ligne : il ne cherche pas la confrontation, mais l’ouverture. « On est dans l’école publique, on travaille avec les collègues, on échange… » Une stratégie de capillarité, plutôt que de rupture.
Le témoignage de Jean-Charles Huver, au cœur du festival, rappelle que d’autres voies éducatives existent. Moins visibles, peut-être, mais profondément ancrées dans une tradition de coopération, de respect de l’enfant, d’émancipation collective.
En donnant à voir les publications, en racontant l’histoire d’un mouvement presque centenaire, en partageant son expérience d’enseignant, il trace un sillon. Celui d’une école qui écoute, qui agit, qui relie. Dans un contexte où l’école publique traverse de nombreuses tensions — crise des vocations, inégalités persistantes, injonctions contradictoires — le message porté par Jean-Charles Huver et l’ICEM Freinet trouve une résonance particulière. Il ne s’agit pas de renverser l’institution, mais de la réanimer de l’intérieur. Par des pratiques concrètes, des outils pensés pour et avec les enfants, et une foi intacte dans le pouvoir de l’éducation.
MHF + IA