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« Je m'appelle Jean-Pierre Spies et je suis président de l'Institut d'Études Occitanes pour les Alpes-Maritimes. » Face caméra, dans le cadre animé du Festival du Livre de Mouans-Sartoux, ce passionné de culture régionale déroule calmement l’engagement d’une vie : faire vivre la langue d’oc sur un territoire où elle fut longtemps parlée au quotidien.
Dans un département où cohabitent plusieurs parlers – provençal, niçois et vivaro-alpin –, l’IEO 06 multiplie les actions pour maintenir vivante cette langue qui ne se transmet plus guère de manière naturelle. « Nous avons la chance d’avoir trois parlers pour la langue », rappelle-t-il avec fierté.
L’Institut d’Études Occitanes, fondé en 1945 au niveau national, dispose d’antennes départementales comme celle que dirige Jean-Pierre Spies. À travers elle, l’IEO agit sur le terrain pour défendre l’occitan dans sa diversité. Dans les Alpes-Maritimes, cela signifie travailler avec les trois principaux parlers locaux : le provençal à l’ouest du Var et à Grasse, le niçois autour de Nice, et le vivaro-alpin dans les zones de montagne.
Cette diversité linguistique, souvent ignorée, fait la richesse du territoire, selon Jean-Pierre Spies. Mais elle implique aussi des efforts d’adaptation dans les actions de sensibilisation et de transmission. « Nous éditons des livres en provençal, en niçois ou en gavot (vivaro-alpin), souvent accompagnés de leur traduction en français, pour permettre l’accès à la langue », explique-t-il.
L’enjeu est double : documenter et transmettre une culture ancienne tout en la rendant accessible aux nouvelles générations, qui ne l’ont pas apprise naturellement à la maison.
Pour cela, l’IEO 06 déploie une série d’activités variées. Outre son travail d’édition, l’association anime une librairie spécialisée et organise des cours de langue. À Grasse, on peut apprendre le provençal ; à Nice, le niçois ; dans les villages alentours comme Contes ou Peillon, des sessions sont également proposées.
Mais l’offre ne se limite pas à des leçons magistrales. Des ateliers de théâtre, de danse traditionnelle et d’autres activités ponctuelles complètent l’approche. « Nous avons un atelier de danse traditionnelle à Grasse, et puis un certain nombre d’activités, de fêtes ou d’activités ponctuelles », détaille Jean-Pierre Spies.
Ce volet festif est essentiel à ses yeux. Il permet d’associer la langue non pas à un passé figé ou scolaire, mais à une pratique vivante, populaire et joyeuse.
Présente chaque année au Festival du Livre de Mouans-Sartoux, l’IEO 06 bénéficie de cette vitrine culturelle pour toucher un public plus large. C’est l’occasion de présenter les nouveautés éditoriales, de nouer des contacts, de rappeler l’importance de la langue dans l’identité régionale.
Ce lien entre langue et territoire est d’ailleurs mis en avant dès les premières secondes de l’interview. Jean-Pierre Spies montre une carte du Languedoc et situe son action dans cette continuité culturelle. Car si l’occitan a aujourd’hui un usage réduit, il reste un marqueur fort de l’histoire et de l’identité des lieux.
Parmi les événements emblématiques organisés par l’IEO 06, la dictée occitane de Nice occupe une place particulière. Inspirée d’initiatives similaires menées ailleurs dans le monde occitan, cette dictée est devenue un moment phare de l’année pour les amoureux de la langue.
« Elle a rassemblé jusqu'à 200 personnes », souligne Jean-Pierre Spies, non sans satisfaction. Organisée en partenariat avec la ville de Nice et les associations locales, la dictée est conçue comme une grande fête populaire. On y vient pour écrire, bien sûr, mais sans stress : « Elle n’est pas notée ni corrigée. C’est surtout une fête de la langue où chacun peut voir où il en est et puis où on se retrouve. »
La formule fonctionne. Chaque édition permet à un auteur occitan contemporain de faire découvrir un de ses textes. La dictée devient alors aussi un moment de création, un espace de mise en lumière pour une littérature bien vivante.
Loin des clichés d’un occitan fossile, figé dans le folklore, Jean-Pierre Spies insiste sur le dynamisme de la création littéraire en langue d’oc. Les textes dictés lors de ces événements ne sont pas des reliques du passé, mais des œuvres d’auteurs contemporains, souvent engagés, parfois poétiques, toujours enracinés dans leur langue.
« Le fait de donner de l’écrit, d’avoir de la création en langue, ça permet de faire vivre aussi la langue et la culture », résume-t-il. Une affirmation simple, mais qui éclaire l’ensemble de l’action de l’IEO : il ne s’agit pas seulement de sauvegarder, mais de faire vivre. De passer du statut de langue en danger à celui de langue en usage.
Jean-Pierre Spies ne le dit pas explicitement, mais son propos traduit une inquiétude : la langue d’oc est de moins en moins parlée. La transmission familiale s’est effondrée au fil des décennies, sous les effets conjugués de l’urbanisation, de la scolarisation en français exclusif et d’un certain dénigrement historique des « patois ».
L’action associative devient alors un outil de résistance culturelle. Et l’enthousiasme affiché lors d’événements comme la dictée ou les fêtes traditionnelles n’enlève rien à la gravité de l’enjeu. Car derrière les chants et les danses, c’est une langue tout entière qu’il faut sauver de l’oubli.
En filigrane, le témoignage de Jean-Pierre Spies révèle une autre réalité : si l’occitan n’est plus langue maternelle, il peut redevenir langue choisie. C’est ce pari que fait l’IEO en s’adressant à des apprenants de tous âges. Il ne s’agit pas de « muséifier » la langue, mais de lui redonner une place dans la vie quotidienne, même symbolique.
Le cadre associatif, souple, participatif, permet cela. Loin des rigidités institutionnelles, l’IEO favorise un apprentissage libre, où chacun vient avec son niveau, son envie, sa curiosité. Les cours, les ateliers, les fêtes deviennent autant de portes d’entrée dans un monde linguistique trop souvent méconnu.
Derrière cette phrase implicite, on perçoit l’ambition profonde de Jean-Pierre Spies et de ceux qui militent à ses côtés : faire de l’occitan une langue du présent. Qu’il s’agisse de l’écrire, de la parler, de la chanter ou de la danser, l’important est de continuer à la faire exister.
« Chacun peut voir où il en est », disait-il à propos de la dictée. C’est peut-être aussi une invitation plus large, adressée à chacun des habitants du sud-est : et vous, où en êtes-vous avec la langue d’ici ?
SDZ + IA