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Dans l’arrière-pays de la Côte d’Azur, Laura Jordan incarne un métier oublié que les maires redécouvrent aujourd’hui comme un maillon essentiel du lien social, de la prévention et de la sécurité. Entre environnement, urbanisme, proximité et discernement, portrait d’un métier qui revient sur le devant de la scène.
Laura Jordan est garde champêtre intercommunal pour la Communauté d’agglomération de Sophia Antipolis. Son rôle ? Être sur le terrain, chaque jour. « C’est vraiment d’assurer une présence de terrain, d’aller au contact des gens, de la population, et leur demander un petit peu ce qui va, ce qui ne va pas. » En un mot : être là. Par sa simple présence, elle incarne l’œil bienveillant et le relais discret entre les habitants, les maires et l’administration.
Le métier de garde champêtre évoque parfois des images surannées de France rurale. Pourtant, dans les communes de l’arrière-pays niçois, il répond à un besoin concret. « Les maires ont exprimé ce besoin pour plusieurs raisons, notamment l’éloignement des gendarmeries. » Pour des communes comme Coursegoules, Courmes, Gréolières, ou La Roque-en-Provence, un garde champêtre représente un appui juridique de proximité, humain et réactif.
Recrutée autour de deux missions principales, Laura Jordan a d’abord été chargée de recréer du lien. « La première, c’était de réinstaurer une proximité de terrain entre les élus, les habitants et les différents services de l'État. » L’objectif n’est pas d’abord de verbaliser, mais d’écouter, comprendre, prévenir. La logique est avant tout relationnelle, presque diplomatique.
La deuxième mission ? Être un maillon de la chaîne de sécurité. Sans armes ni uniforme intimidant, le garde champêtre agit sur la durée, en prévention. Dans ce rôle, Laura Jordan navigue entre les champs de compétences de la sécurité publique, de l’environnement, de l’urbanisme et du sanitaire.
Venue de la gendarmerie, Laura Jordan a abordé ce nouveau poste avec pragmatisme. « Ma première mission ici, c'était de courir après des ânes. Mais des vrais ânes. » Derrière l’anecdote souriante se dessine une réalité : la ruralité impose ses priorités, ses urgences, ses logiques.
La divagation d’animaux, la gestion de dépôts sauvages, ou encore les conflits de voisinage sont le quotidien du garde champêtre. Son terrain s’étend sur plusieurs communes, sur un territoire montagneux et dispersé. Chaque jour implique de longs trajets, des visites impromptues, et beaucoup de dialogue.
Le travail du garde champêtre s’articule largement autour de l’environnement. « On travaille essentiellement là-dessus », explique Laura. Prévention des dépôts sauvages, respect des obligations légales de débroussaillement (OLD), lutte contre la divagation animale ou encore protection du patrimoine naturel : les missions sont nombreuses.
Mais l’environnement n’est pas le seul domaine de compétence. « On fait aussi de l’urbanisme, du sanitaire, de la sécurité routière. On a un panel de compétences très très large. » La transversalité de ses fonctions impose une grande adaptabilité et une solide connaissance du terrain.
Laura Jordan insiste sur la pédagogie et la prévention. Avant de dresser un procès-verbal, il faut expliquer, comprendre, discuter. « On a mis une petite année avant de commencer à verbaliser sur quelques points, notamment sur du stationnement, des actes environnementaux, ou de la divagation d’animaux. »
Cette stratégie de patience permet de construire un climat de confiance avec les habitants. Dans ces villages de montagne, la répression brutale serait malvenue. « C’est des gens qui n’ont pas forcément connu beaucoup de répression ces dernières décennies. Il faut y aller avec intelligence et parole. »
Le mot revient souvent dans la bouche de Laura Jordan : discernement. Face à la complexité des situations locales, elle doit faire preuve de bon sens, adapter les réponses, éviter les automatismes. « Le point dominant, ça va être une proximité et du discernement, et aussi d’être un appui juridique, notamment pour les mairies, mais aussi parfois pour les habitants. »
Ce discernement passe par la connaissance du tissu local, la confiance installée avec les élus, les artisans, les commerçants, les éleveurs. « Notre travail, c’est d’être au plus proche du terrain, de discuter avec tout le milieu pastoral, les artisans, les habitants. » Une parole donnée, une écoute attentive, une présence régulière : autant de leviers pour prévenir les tensions avant qu’elles ne s’enveniment.
Dans un territoire soumis aux risques naturels – vents violents, incendies de forêt, inondations – le garde champêtre joue aussi un rôle d’alerte et de sensibilisation. « On est dans les Alpes-Maritimes, il y a les obligations légales de débroussaillement. C’est surtout d’éveiller les gens sur la sécurité. »
Il ne s’agit pas seulement de constater les manquements, mais d’expliquer pourquoi ils existent. Pourquoi débroussailler ? Pourquoi ne pas déposer ses encombrants dans un coin de bois ? Pourquoi protéger telle zone ? Le garde champêtre fait œuvre de médiation, plus que de sanction.
Lorsqu’un dépôt sauvage est constaté, Laura ne se contente pas de photographier et de signaler. Elle enquête. « On va essayer de faire un peu d’investigation, de la recherche. Voir s’il n’y a pas une identité qui traîne. » Si une personne est identifiée, elle est convoquée, entendue, et un procès-verbal peut être établi.
Ce travail rigoureux permet de donner de la valeur aux procédures engagées. Il protège aussi les mairies, qui peinent parfois à instruire elles-mêmes ce type de dossiers. Le garde champêtre, en tant qu’agent assermenté, joue ici un rôle crucial dans l’articulation entre constat et poursuite.
Pour les habitants comme pour les commerçants, la présence de Laura Jordan change le quotidien. « Ça nous rassure en tant qu’habitants. Moi, pour le coup, en tant que commerçant, c’est rassurant de savoir que quelqu’un veille sur nous. » Le lien est humain, concret, palpable.
Dans les territoires de moyenne montagne, souvent perçus comme « oubliés », la garde champêtre incarne une forme de continuité républicaine. Ni policier, ni élu, ni assistant social, elle est tout cela à la fois, dans un rôle subtil d’équilibriste, de relais, de présence.
Le portrait de Laura Jordan révèle la richesse d’un métier souvent invisible. Elle ne revendique pas de pouvoir particulier, mais une façon d’agir : discrète, patiente, persévérante. Son efficacité repose sur la constance, la parole tenue, la compréhension des enjeux humains.
Dans les vallées de l’arrière-pays azuréen, où les services publics se font rares, elle incarne une fonction précieuse. Un métier d’avenir, à condition qu’on lui donne les moyens de durer.
DB+IA 30/10/2025