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À première vue, son stand pourrait ressembler à celui d’un artisan local parmi tant d'autres. Pourtant, derrière les bonnets, mitaines et chaussettes en laine mérinos exposés fièrement, se cache une démarche bien plus ambitieuse. Leslie Protche, éleveuse dans les Alpes-Maritimes, est l’une des chevilles ouvrières d’un projet collectif : faire revivre une filière oubliée, celle de la laine.
« Aujourd’hui, je présente les produits que je fais faire avec son collectif d'éleveur mérinos », explique-t-elle d’entrée. Une collaboration concrète entre éleveurs, regroupés en association, pour transformer ensemble leur laine brute en produits finis. Cette transformation commence à Biella, dans le Piémont italien, un bastion du savoir-faire textile. Mais la fabrication se termine en France, au plus près des valeurs locales de qualité et de solidarité.
La vocation de Leslie ne date pas d’hier. Si elle est officiellement éleveuse depuis 2019, elle partage cette aventure avec son conjoint, en activité depuis 2008. Ensemble, ils élèvent des mérinos, une race ovine à la toison fine et chaude. Depuis 2018, ils valorisent leur laine en la faisant transformer plutôt que de la jeter ou de la vendre à bas prix.
« On fait transformer notre laine mérinos depuis 2018 », précise-t-elle. Une décision stratégique et éthique : la laine est une matière noble qui, pourtant, est souvent considérée comme un rebut dans les élevages français. Leslie et son compagnon ont choisi de lui redonner sa valeur.
Le parcours de la laine mérinos issue de leur troupeau commence par un lavage indispensable. Cette opération est confiée à Laurent Laine, à Saugues, en Haute-Loire. « C’est le dernier lavage de laine en France », insiste-t-elle. Une précision lourde de sens : il ne reste presque plus rien de l’industrie lainière dans l’Hexagone. La quasi-totalité des laines françaises est exportée brute, parfois jusqu’en Chine ou en Inde, pour y être traitée à moindre coût.
Ce choix de faire laver leur laine en France, malgré le surcoût, est un acte militant. Préserver ce savoir-faire, maintenir des emplois locaux et garantir la qualité de chaque étape de production sont autant de raisons qui justifient cet engagement.
Une fois lavée, la laine est transformée dans différents ateliers. Certains produits, comme les objets en feutre, sont fabriqués dans un atelier de réinsertion, l’atelier de la Bruyère. Situé non loin de chez eux, ce partenariat local a du sens. « C’est local, et surtout, ça appartient aussi aux éleveurs », précise Leslie.
Derrière cette phrase, une conviction forte : les éleveurs doivent reprendre la main sur la transformation, la valorisation et la commercialisation de leur laine. Finis les circuits industriels opaques. À la place, une filière courte, lisible, maîtrisée de bout en bout.
L’implication de Leslie est autant économique qu’environnementale. Dans un monde agricole en mutation, où la pression sur les prix ne cesse d’augmenter, valoriser chaque ressource devient vital. Trop souvent, la laine est perçue comme un sous-produit, sans valeur, voire comme un fardeau à éliminer.
« C’est important de valoriser cette laine », martèle-t-elle. En évitant qu’elle ne finisse à la benne, l’éleveuse participe à une économie circulaire, sobre et durable. Et ce, sans sacrifier à l’esthétique ou à la qualité : les produits issus de leur laine sont à la fois beaux, chauds et résistants.
La bonne nouvelle, c’est que l’engagement de Leslie s’inscrit dans une tendance plus large. « C’est un peu à la mode, ça revient », constate-t-elle. Le retour au local, au fait-main, aux matières naturelles suscite un engouement croissant. Les consommateurs veulent savoir d’où viennent leurs vêtements, comment ils sont fabriqués, et par qui.
Ce regain d’intérêt pourrait bien représenter une opportunité inespérée pour la laine française. À condition toutefois que des initiatives comme celle de Leslie Proche soient soutenues et reconnues à leur juste valeur.
L’histoire que raconte Leslie Protche n’est pas celle d’un retour à la terre idéalisé, mais celle d’un combat quotidien. Pour redonner sa place à une matière oubliée. Pour faire vivre une filière artisanale. Pour permettre aux éleveurs de vivre dignement de leur travail.
C’est aussi, profondément, une histoire de passion. Celle d’une femme et d’un homme qui croient encore au sens du métier d’éleveur, bien au-delà de la seule production de viande. Un métier complet, exigeant, mais porteur d’un avenir – à condition qu’on lui laisse la place de s’exprimer.
SDZ + IA