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Sur le marché de Vallauris, au cœur de la Fête de la Poterie, une créatrice attire le regard avec ses assiettes et bols peuplés d’insectes délicatement gravés. Inspirée par la linogravure, Lola Stéphanie manie le sgraffito comme d’autres la plume, mêlant patience, précision et poésie.
Le soleil tape sur les étals du marché de Vallauris. Au milieu des couleurs vives et des odeurs d’argile fraîche, un stand intrigue par son décor minimaliste : des assiettes plates ou creuses, des petites coupelles, des mugs et des bols. Tous arborent, en noir sur blanc ou en teintes douces, des scarabées, abeilles ou libellules, tracés avec une précision presque entomologique.
Derrière le stand, Lola Stéphanie sourit : « Je tourne et je vends toutes mes pièces à la main. » Pas de production industrielle ni de motif appliqué au tampon. Chaque objet est unique, façonné et décoré dans son atelier-boutique de l’avenue Georges Clémenceau, à Vallauris.
Si le mot n’est pas courant, le geste l’est pour les passionnés de céramique. Le sgraffito — du verbe italien sgraffiare, gratter — consiste à recouvrir une pièce d’une couche d’engobe (argile liquide colorée) puis à gratter ce revêtement pour faire apparaître l’argile d’origine en dessous. Cela crée des motifs en contraste, parfois fins comme un trait de crayon, parfois plus larges et expressifs.
Chez Lola, la technique est détournée avec sensibilité. « Je grave directement dans la pièce pour faire ressortir les détails », explique-t-elle. Ses gravures ne sont pas de simples contours : elles évoquent la texture des ailes d’un papillon, la carapace segmentée d’un scarabée, les antennes fines d’une abeille. Le dessin prend forme dans la terre encore crue, à l’outil, comme une caresse précise qui inscrit la nature dans la matière.
Cette précision n’est pas le fruit du hasard. Avant de se consacrer à la céramique, Lola a suivi une formation au cours de laquelle elle a découvert la linogravure, une technique d’impression qui consiste à creuser un motif dans une plaque de linoléum, puis à l’encrer et l’imprimer.
« C’est très proche du sgraffito », explique-t-elle. Dans les deux cas, il faut soustraire de la matière pour révéler un dessin. Ce parallèle l’a marquée. Un de ses premiers essais en gravure représentait un scarabée — un motif qui ne l’a plus quittée depuis.
Aujourd’hui, ce scarabée s’invite sur ses assiettes et bols comme un emblème. Il n’est pas seul : araignées, papillons et coccinelles peuplent également son univers graphique. Chaque insecte est rendu avec justesse, mais aussi avec une part d’interprétation poétique : la nature observée, réinventée et gravée dans l’argile.
Vallauris est connue pour son histoire potière et artistique — Picasso y a laissé son empreinte. Pour Lola Stéphanie, exposer sur le marché de la Fête de la Poterie, événement phare de la ville, est à la fois une vitrine et un moment de partage.
« Il y a de la visibilité, du passage à la boutique, des gens qui repassent… et puis évidemment, des ventes », confie-t-elle. Mais au-delà de l’aspect commercial, c’est l’occasion de dialoguer avec des visiteurs curieux, d’expliquer ses techniques, de montrer que la céramique n’est pas seulement utilitaire mais aussi narrative.
Si Lola semble à l’aise derrière son tour et ses outils, son parcours professionnel est récent. « Ça fait quatre ou cinq ans que je fais de la céramique, mais un an et demi seulement que je suis céramiste à plein temps. »
Ce passage au statut professionnel a nécessité de franchir plusieurs étapes : acquérir un équipement adapté, aménager un atelier-boutique, maîtriser les aspects administratifs, et surtout, trouver une identité artistique claire. Le choix du sgraffito et des motifs entomologiques lui a permis de se distinguer dans un univers où les tendances peuvent être très marquées.
L’une des forces du travail de Lola est son refus du standard. Chaque pièce, même reproduisant un motif semblable, porte une variation subtile : un trait plus appuyé, une courbe légèrement différente, une nuance d’émail imprévue mais acceptée.
En céramique, ces “imperfections” sont souvent la marque de l’artisanat authentique. Elles racontent le processus, les gestes, les choix, mais aussi les aléas du four, du séchage, du glaçage. « C’est important pour moi que mes pièces aient une âme, qu’elles portent la trace de la main », affirme-t-elle.
Pourquoi les insectes ? Lola sourit. D’un point de vue graphique, ils offrent une richesse de formes et de textures : ailes nervurées, pattes articulées, carapaces lustrées. Mais il y a aussi une dimension symbolique.
Les insectes fascinent et dérangent parfois. Ils sont souvent méconnus ou mal aimés, pourtant ils jouent un rôle essentiel dans les écosystèmes. Les graver dans la céramique, c’est à la fois un hommage et une invitation à les regarder autrement. « C’est un clin d’œil à la nature et à la curiosité », résume-t-elle.
Le sgraffito n’est pas une invention récente : on le retrouve dans des céramiques italiennes du XVe siècle, dans des poteries islamiques, et même dans certaines traditions africaines. Mais dans les mains de Lola Stéphanie, cette technique ancestrale se met au service d’un univers visuel très actuel.
Ses lignes sobres, ses fonds épurés et ses motifs presque graphiques pourraient aussi bien figurer sur un carnet de dessin que sur une assiette. Cette tension entre tradition et modernité est au cœur de son travail : faire dialoguer la lenteur du geste artisanal et la vivacité du dessin contemporain.
Installée à Vallauris, Lola a fait de son atelier-boutique un espace hybride : lieu de production, de vente et parfois d’accueil pour des curieux ou des amateurs de céramique. Les visiteurs peuvent y voir les pièces en cours de fabrication, comprendre les étapes — tournage, séchage, gravure, émaillage, cuisson — et mesurer le temps nécessaire à la réalisation d’un simple bol.
Ce contact direct permet aussi de créer une clientèle fidèle. Certaines personnes reviennent pour compléter un service, d’autres pour offrir un cadeau personnalisé. « C’est gratifiant de voir mes pièces vivre chez les gens, au quotidien », dit-elle.
Si la Fête de la Poterie et la clientèle locale constituent un socle solide, Lola envisage aussi de développer sa présence en ligne et de participer à des salons spécialisés. Le sgraffito, encore peu représenté dans certaines scènes artisanales, pourrait séduire un public amateur de design et d’objets d’art.
Elle imagine déjà des collections autour d’autres thèmes naturels, ou encore des pièces grand format pour la décoration murale. Mais toujours avec la même ligne : « Créer des objets utiles, beaux, et porteurs d’une histoire. »
En filigrane, le portrait de Lola Stéphanie est celui d’une artisane qui, en grattant la surface de la terre, révèle bien plus qu’un motif : elle met au jour une relation intime entre le geste, la matière et le vivant.
SDZ + IA