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Assis à l’ombre d’un arbre, Malric entame son propos sans détour : « Je pense qu’à partir du moment où la nature rentrera, entrera vraiment dans la vie quotidienne, c’est ça qui nous permettra d’avoir un monde de demain. »
Ces mots résonnent comme une profession de foi. Pour cet auteur et illustrateur, le futur ne se bâtira pas seulement sur la technologie ou la performance, mais sur une reconnexion essentielle avec notre environnement. Une idée simple, presque poétique, mais qui oriente profondément son travail artistique.
Malric ne se contente pas de porter cette vision dans son discours : il l’incarne à travers ses œuvres. Et notamment dans son dernier projet, une fiction nimbée d’esthétique japonaise, où la nature, les traditions et l’imaginaire s’entrelacent.
Dans le tumulte des salons littéraires, peu d’auteurs peuvent se targuer de réécrire l’histoire d’un pays tout entier. Malric, lui, s’y est attelé avec passion. « Je viens de travailler sur une histoire japonaise. J’ai refait toute la géopolitique d’un Japon médiéval que j’ai inventé. » explique-t-il.
Ce Japon n’est pas celui des manuels d’histoire. C’est un archipel recomposé, librement inspiré, nourri de références mais affranchi des cadres. Ce cadre imaginaire, il le façonne pour y installer une intrigue, un voyage, une quête initiatique portée par une voix singulière.
Au cœur de cette épopée, un objet symbolique : « un sabre qui murmure ». La formule claque comme un haïku. Elle condense à elle seule tout l’art narratif de Malric : une tension entre la poésie et le tranchant, entre le silence et le récit.
Cette double casquette est au cœur de sa démarche. Contrairement à nombre d’auteurs de bande dessinée ou d’illustrateurs classiques, Malric revendique une liberté totale dans la forme. « Je suis à la fois scénariste et illustrateur, donc c’est deux médiums pour s’exprimer en fait. »
Mais là où certains choisiraient la BD comme terrain d’expression privilégié, lui préfère s’en éloigner. « Je ne suis pas très dans la BD justement, parce que je veux laisser plus de place aux textes. »
Cette affirmation dit tout d’un équilibre recherché : celui entre le texte et l’image, sans que l’un ne prenne le pas sur l’autre. Le roman illustré s’impose alors comme le format idéal pour cet artisan du récit. « C’est pour ça que je suis parti sur un roman illustré, où si j’ai envie de faire ou si j’ai besoin de faire une page de dialogue, eh bien j’en ferai une. »
Cette souplesse, cette respiration dans la narration, fait toute la singularité de son travail. Loin des contraintes de cases et de bulles, il explore des formes plus ouvertes, plus libres — à la croisée du conte, du roman graphique et de l’illustration narrative.
Malric n’a jamais renié ses influences. Au contraire, il les revendique comme partie intégrante de sa formation et de son identité artistique. « Oui, on est toujours influencé par des illustrateurs. On apprend d’abord le dessin en copiant les grands maîtres. »
Cette humilité est aussi une reconnaissance. Derrière chaque trait, chaque composition, il y a l’ombre d’un aîné, d’un artiste admiré. Qu’ils soient japonais, européens, anciens ou contemporains, ces maîtres nourrissent sa pratique et son regard.
Mais au-delà de la technique, c’est un rapport au monde que Malric interroge. Sa manière de dessiner, d’écrire, de composer des récits hybrides, est aussi une manière de penser l’époque, de ralentir le temps, de faire cohabiter plusieurs dimensions du sensible.
Lorsqu’on l’interroge sur l’avenir, Malric sourit. Il reconnaît en riant : « Je commence à être vieux, moi, donc le monde de demain, je pense que c’est plutôt les jeunes qui vont tout changer. »
Cette phrase pourrait passer pour une boutade, mais elle dit beaucoup de son rapport au temps. Loin de se poser en prophète ou en militant, il se voit plutôt comme un passeur. Quelqu’un qui transmet, qui crée des mondes pour que d’autres puissent y entrer, s’y perdre, y rêver.
Dans cet aveu, il y a aussi une forme de confiance. Confiance en la jeunesse, en sa capacité à réinventer le réel, à le penser autrement. Peut-être plus proche de la nature. Peut-être plus attentive au silence des choses. À ce sabre qui murmure.
Derrière la douceur du ton, il y a une exigence formelle. Travailler seul, écrire, dessiner, composer un univers entier sans cloisonnement : tout cela demande du temps, de la rigueur, et une vision claire.
Malric ne cherche pas à plaire à tout prix. Il ne court pas après les formats à la mode. Son ambition est ailleurs : dans la construction patiente de récits durables, dans l’élaboration minutieuse d’un monde où le texte et l’image se répondent, sans jamais se réduire l’un à l’autre.
Le roman illustré devient alors un laboratoire de narration, un espace de liberté, un lieu où l’on peut à la fois contempler et réfléchir, s’évader et comprendre.
Le portrait de Malric s’inscrit dans la série d’interviews réalisée à Mouans-Sartoux dans le cadre de TVTV, un projet où artistes, penseurs et créateurs croisent leurs visions du monde de demain.
Sa parole y détonne par sa retenue. Pas de slogans, pas de grandes théories. Juste une voix calme, posée, qui parle d’imaginaire, de nature, de dessin et d’écriture. Une parole rare, à l’image de son œuvre.
Et peut-être est-ce cela, le vrai engagement aujourd’hui : proposer des récits où la complexité a droit de cité. Des histoires qui ne cherchent pas à convaincre mais à éveiller. Où l’on peut entendre le monde... murmurer.
En choisissant la voie du roman illustré, Malric trace un sillon singulier dans le paysage littéraire contemporain. Loin des modes et des circuits industriels, il compose, à son rythme, des récits denses, habités, où chaque image est porteuse de sens, et chaque mot, d’émotion.
Son travail, mêlant fiction historique, inspirations japonaises et préoccupations écologiques, ouvre un espace rare : celui d’une imagination lucide, ancrée dans le présent mais tournée vers l’avenir.
À travers le prisme de l’imaginaire, Malric invite à réenchanter notre rapport au monde. Et peut-être à l’écouter autrement.
DB+IA 09/10/2025