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La voix est douce, posée. Mais les mots sont clairs : « Pour les générations qui viennent, il faut qu’il y ait une prise de conscience très jeune. » Dès les premières secondes de l’entretien filmé à Mouans-Sartoux, Maylis Daufresne pose le cadre. Elle écrit pour la jeunesse, oui. Mais pas pour l’édulcoration. Son ambition est plus haute : ouvrir des portes, susciter des réflexions, éveiller des regards.
Et dans cette mission, l’auteur estime avoir un rôle à jouer. « On a un rôle à jouer en tant qu’auteur pour les enfants, c’est sûr. » L’écriture jeunesse n’est pas un terrain de repli, mais un espace de responsabilité. Une scène où se joue une part du monde de demain.
C’est ainsi qu’elle se présente, simplement, sans effet de manche. Maylis Daufresne a publié son premier album en 2017. « Ça fait bientôt huit ans », glisse-t-elle, presque étonnée du temps qui passe. Depuis, elle enchaîne les publications, toujours dans le format de l’album illustré.
« À chaque fois, ce sont des albums indépendants », précise-t-elle. Des histoires autonomes, qui peuvent se lire seules, se transmettre, s’offrir, s’oublier puis ressurgir. Cette indépendance reflète aussi sa manière de créer : libre, intuitive, sincère.
Dans un monde littéraire souvent fasciné par la longueur, Maylis Daufresne choisit la brièveté. « J’aime beaucoup la forme courte. C’est un type d’écriture dans lequel je suis assez à l’aise. » Cette préférence pour la concision n’a rien de contraint. Elle répond à une esthétique, une philosophie du peu.
Le format court est, selon elle, particulièrement adapté à la jeunesse. Il exige d’aller à l’essentiel. De faire mouche. « Je trouve que pour la jeunesse, tous les thèmes peuvent être abordés. Tout est possible. » Une affirmation puissante, presque militante.
En quelques pages, avec peu de mots, l’album peut toucher juste. Il peut dire l’amour, la peur, le deuil, la différence, la beauté, le monde. « On arrive à faire passer des messages assez forts pour tous les publics », souligne-t-elle. Car derrière l’enfant qui lit, il y a souvent un adulte qui écoute aussi.
Parmi ses ouvrages, Maylis Daufresne évoque avec tendresse son dernier-né : L’Arbre et l’Oiseau. Sorti tout récemment, cet album condense à lui seul l’univers de l’autrice : poésie, nature, relation.
« C’est l’histoire d’un petit arbre qui sort de terre, qui va faire connaissance avec une hirondelle », raconte-t-elle. L’un est enraciné, l’autre voyage. L’un découvre le monde par fragments, l’autre le traverse. Et pourtant, ils s’écoutent. Ils apprennent l’un de l’autre.
« C’est tous les échanges entre l’hirondelle qui voyage et l’arbre qui reste. Chacun va s’enrichir de l’histoire de l’autre. » Derrière cette histoire simple, une leçon discrète : le dialogue entre les différences, la richesse des rencontres, la complémentarité des expériences.
Chez Maylis Daufresne, la nature n’est pas un décor. Elle est un personnage à part entière, un fil conducteur, une source d’inspiration permanente. « Moi, j’ai beaucoup d’albums qui parlent de la nature, de la place de l’homme dans la nature. »
Cette thématique, omniprésente dans son œuvre, n’est jamais didactique. Elle s’infiltre dans les récits, se glisse entre les pages, imprègne les couleurs. L’autrice n’écrit pas pour culpabiliser, mais pour reconnecter. Pour faire ressentir ce lien essentiel, souvent oublié.
« Le respect de la nature, c’est un très beau thème, très important », insiste-t-elle. Et à travers ses personnages d’arbres, d’oiseaux, d’animaux ou d’enfants en chemin, elle invite à regarder autrement ce qui nous entoure.
Ce n’est pas un slogan, ni un programme. C’est une cohérence. « Je pense que le respect de la nature transparaît à travers un peu tous mes albums », confie-t-elle. Cette imprégnation vient d’une sensibilité personnelle, d’un attachement profond au vivant.
Il ne s’agit pas de délivrer un message figé, mais d’ouvrir un espace de réflexion et d’émotion. Les enfants — et les adultes — sont invités à ressentir, à observer, à s’interroger. L’écriture devient alors un outil d’éveil, au sens plein du terme.
Ce qui frappe dans le témoignage de Maylis Daufresne, c’est la force tranquille de sa démarche. Elle ne revendique rien, ne cherche pas à s’imposer. Elle trace son chemin, à travers des albums délicats, exigeants, accessibles à tous.
Chaque livre est une graine. Parfois, elle germe tout de suite. Parfois, elle attend. Mais elle est là, porteuse de sens, prête à éclore dans l’imaginaire de celui ou celle qui la reçoit.
L’entretien a été réalisé dans le cadre du projet TVTV mené au festival du livre de Mouans-Sartoux, un lieu où se croisent chaque année des voix singulières. Celle de Maylis Daufresne y trouve parfaitement sa place.
Ni démonstrative, ni tapageuse, elle offre une parole rare : celle d’une créatrice attentive, soucieuse du détail, engagée dans une forme d’écriture lente, respectueuse et généreuse.
Son passage devant la caméra laisse une impression de sérénité. Celle d’une femme qui croit profondément en ce qu’elle fait. Et qui continue, livre après livre, à bâtir un monde plus doux, plus lucide, plus vivant.
À l’heure où les urgences climatiques et sociales bousculent nos certitudes, le travail de Maylis Daufresne prend une dimension particulière. Elle ne donne pas de leçons. Elle raconte. Elle écrit pour celles et ceux qui grandissent. Et elle le fait avec une grande exigence littéraire et humaine.
Ses histoires, souvent centrées sur des personnages du monde naturel, interrogent notre place, nos choix, nos responsabilités. Mais elles le font sans lourdeur. Avec grâce, avec tendresse, avec justesse.
Car au fond, c’est cela que permet la littérature jeunesse lorsqu’elle est bien faite : elle dit beaucoup, avec peu. Et elle touche, profondément.
DB+IA 09/10/2025