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Sur le stand de Michaël Ladet, au cœur des Régates Royales de Cannes, les visiteurs ne regardent pas simplement des sacs. Ils découvrent des histoires. Des morceaux de mer. « On est sur des voiles de bateau qui ont navigué », explique l’artisan, en désignant les tissus patinés par le sel et le vent. Ces voiles, récupérées auprès de clients ou directement auprès de voiliers, ont connu le large. Une fois leur vie marine terminée, elles entament une seconde existence entre les mains de Michaël, sous forme de sacs, pochettes ou objets de décoration.
Le matériau est noble, même usé. Chaque pli raconte une traversée, chaque couture un bord tiré. « Après, je vais créer toute une gamme dans ces tissus-là », ajoute-t-il. Car ici, rien ne se perd : tout se transforme, avec exigence et passion.
À 46 ans, Michaël Ladet s’est façonné un parcours aussi original qu’éclectique. Il se présente simplement : « Je suis artisan maroquinier, et je fabrique des sacs et des objets de décoration à partir de voiles de bateau. » Mais derrière cette phrase concise se cache une trajectoire riche en expériences et en savoir-faire.
Avant de se consacrer à la maroquinerie, Michaël a été maître voilier pendant dix ans à Port Camargue, sur la côte méditerranéenne. Une décennie à réparer, ajuster, comprendre la matière et les forces invisibles du vent. Puis, virage complet : il conçoit des selles d’équitation de luxe, avant de diriger un atelier de ganterie. Trois univers, trois disciplines, un même fil conducteur : la précision du geste et le respect des matériaux.
« À la suite de ces trois expériences, j’ai tout mélangé pour créer ma gamme propre de sacs », confie-t-il. Le cuir rencontre le Dacron, la tradition rejoint l’innovation. Une alchimie artisanale.
Si les voiles ayant navigué sont au cœur de son travail, Michaël Ladet utilise aussi des tissus neufs... mais pas n’importe lesquels. « Ce sont des déclassés de fabricants, c’est-à-dire qu’on ne peut pas les utiliser pour fabriquer des voiles parce qu’il y avait des défauts. » Des imperfections rédhibitoires pour la navigation, mais idéales pour la création.
« Moi, je rachète ces pièces-là, et je vais créer des choses avec », poursuit-il. Rien de standardisé : chaque sac est unique, fabriqué à la main, pensé pour durer. L’artisan revendique une démarche durable, raisonnée, loin des logiques industrielles.
Michaël Ladet n’est pas seulement un créateur : il est aussi son propre artisan, vendeur, gestionnaire, conseiller. « Je fais tout », dit-il dans un sourire. « C’est ce qui est rigolo : on fait la création, on crée les modèles particuliers avec les clients, les prototypes... et puis après, il y a la vente, toute la partie gestion. » Un artisanat complet, qui ne se limite pas à l’atelier.
Sa relation avec les clients est centrale. Il conçoit souvent des modèles sur mesure, en dialogue constant avec ceux qui pousseront la porte de son stand ou de son atelier. Cette personnalisation fait partie de l’expérience : acquérir un objet signé Michaël Ladet, c’est participer à sa genèse.
La matière première n’est pas la seule richesse de ces sacs. Il y a aussi les images, les symboles, les références. Pour ajouter une dimension patrimoniale à ses créations, Michaël Ladet collabore avec la Bibliothèque nationale de France. « J’imprime des cartes anciennes sur mes sacs », explique-t-il. Des cartes marines d’époque, chinées dans les archives de la BNF, qui habillent les voiles recyclées et leur donnent une profondeur nouvelle.
Le geste est à la fois poétique et technique. Ces impressions sont ensuite associées à des cuirs d’agneau, issus de la tradition millavoise : « Je les associe avec les cuirs d’agneau de Millau, parce que moi je suis basé à Millau, dans l’Aveyron. » La ville, célèbre pour ses gants de luxe, offre un savoir-faire exceptionnel que Michaël perpétue à sa manière.
Sa présence à Cannes, lors des Régates Royales, n’est pas anodine. Cet événement nautique, parmi les plus prestigieux de la Méditerranée, rassemble marins, passionnés, curieux… et artisans. « C’est toujours un bon moment », affirme Michaël. « On y retrouve les copains qui exposent leurs créations à eux aussi, les marins avec qui on bosse pas mal, l’organisation qui est sympa... » Un rendez-vous chaleureux, où les voiles continuent de vivre, sous d’autres formes.
Son stand attire autant les amateurs de mer que les amateurs d’artisanat. Ici, le souvenir d’une course peut se transformer en sac à main. Une voile ayant parcouru l’Atlantique devient un cabas chic. Le lien entre l’objet et son passé fascine.
En donnant une seconde vie à ces tissus chargés d’histoire, Michaël Ladet devient, à sa manière, un artisan de la mémoire. Il transforme des matériaux voués à l’oubli en objets durables, porteurs de récits. Dans un monde où le neuf domine, son travail rappelle que l’ancien a de la valeur, que l’usure peut être belle.
Ses sacs ne sont pas seulement beaux : ils racontent. Ils racontent la mer, le vent, le geste. Ils racontent un parcours, celui d’un homme qui a su mêler passion et métier. Ils racontent aussi une certaine idée de l’artisanat français : exigeant, créatif, vivant.
Loin de toute industrialisation, Michaël Ladet continue de produire à son rythme, fidèle à ses valeurs. Il répond à la demande sans la précéder, préférant la qualité à la quantité. Son atelier de Millau reste son port d’attache, même si son rayonnement dépasse largement les frontières de l’Aveyron.
Demain, peut-être, ses voiles transformées vogueront vers de nouveaux marchés, vers d’autres salons. Mais l’esprit restera le même : celui d’un artisan libre, curieux, enraciné.
DB+IA 29/09/2025