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Dans le village de Bar-sur-Loup, niché entre mer et montagne, Monique Revel incarne à elle seule le fil vivant de la mémoire locale. Médecin généraliste, mais aussi élue municipale, déléguée au patrimoine, au jumelage, au CCAS, à l’école… elle est partout. Pourtant, c’est dans les salles feutrées d’un petit écomusée qu’elle s’anime le plus, guidant les visiteurs à travers des objets simples, mais puissamment évocateurs du passé.
Au cœur du village, deux musées coexistent. Le premier, accolé à la mairie, rend hommage aux figures notables de Bar-sur-Loup. Le second, plus modeste mais non moins précieux, célèbre la vie quotidienne d’antan. C’est ce dernier que Monique Revel chérit tout particulièrement.
Elle y présente avec émotion les outils de la vie agricole : balances, paniers, pressoirs, sulfateuses à bras, haches, faux, et autres instruments dont l’usure témoigne d’un usage patient et vital. « C’est vraiment l’écomusée avec la vie agricole de tous les jours, les petits objets tout simples », raconte-t-elle.
Au-delà des objets, le musée dévoile une page méconnue de l’histoire locale : l’arrivée des Piémontais entre 1850 et 1920. Ces migrants italiens ont traversé les Alpes pour travailler à la construction du canal de la Fou, du chemin de fer, et dans les champs. « Ils restaient une saison, ils repartaient, ils étaient dans des conditions de vie très précaires », se souvient-elle.
Beaucoup se sont finalement installés, leurs descendants ancrés aujourd’hui dans le tissu du village. Cette histoire a donné naissance à un jumelage dynamique avec Monterosso Grana, près de Cuneo, d’où venaient ces premiers bâtisseurs.
Loin d’un récit figé, le musée est aussi un lieu de transmission joyeuse. Monique y évoque avec tendresse des jouets d’après-guerre, fabriqués à la main : « C’est désuet, mais ça représente tout ce qu’on peut apprécier. » Elle les appelle leurs « Barbie de l’époque », preuve que l’imaginaire enfantin a toujours su composer avec peu.
Ce musée est un projet collectif. Les objets ont été offerts par les habitants. Certains sont rares, d’autres plus communs, mais tous racontent quelque chose. On y trouve des outils de forgerons, de menuisiers, une collection de scies, des instruments de mesure pour peser les fleurs destinées à la parfumerie. « Ce sont des gens du village. On est très contents », souligne Monique, le regard pétillant de fierté.
Le musée s’étend jusqu’à un ancien site industriel : la papeterie. Au bord de la rivière Loup, elle fut le théâtre d’une production artisanale de papier à partir de chiffons déchiquetés. On y fabriquait surtout du papier d’emballage pour les fruits.
Monique y montre un système de poulies, de rouleaux, une roue encore intacte. Le passé industriel du village refait surface au milieu de la végétation, entre les pierres et les souvenirs. « C’est un endroit exceptionnel », affirme-t-elle.
Parmi les objets les plus étonnants, une plaque de verre utilisée autrefois dans l’extraction des parfums : de la graisse de porc y était étalée, sur laquelle on piquait les fleurs. La graisse, saturée de parfum, était ensuite grattée pour en extraire la concrète, précieuse matière première pour la parfumerie. « Ce n’est plus utilisé aujourd’hui, mais c’est vraiment un modèle rare », précise-t-elle.
La visite du musée ne se limite pas aux murs. Elle invite à explorer le village : le château de l’amiral de Grasse, dont il ne reste que le donjon, partiellement effondré lors d’un ancien tremblement de terre ; l’église remarquable, la chapelle des sœurs, ou encore l’ancienne papeterie. Chaque lieu est une strate d’histoire que Monique raconte avec soin.
Parmi les trouvailles les plus marquantes, un « vantail requis » restauré à la papeterie : il servait à séparer les feuilles des grains de blé ou des olives. L’objet vibre encore sous les mains de Monique, témoin tactile d’un passé pas si lointain. Son bon état de conservation étonne, comme si le temps lui-même avait décidé de le préserver.
Monique Revel n’est pas seulement une médecin ni une élue. Elle est la gardienne des racines de Bar-sur-Loup. À travers ses mots, les objets retrouvent leur souffle, les migrations leur dignité, les traditions leur profondeur. Elle rappelle que la mémoire d’un village n’est pas une archive poussiéreuse, mais un fil vivant entre passé et présent.
Son musée n’est pas une vitrine figée. C’est un miroir. Et dans ce miroir, chaque habitant peut reconnaître un fragment de son histoire.
DV + IA