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Installé depuis quatre ans au Cannet, dans les Alpes-Maritimes, Nicolas Canet n’est pas un artisan comme les autres. À 38 ans, il est le dernier représentant d’un métier méconnu : artisan d’art en provençal, spécialisé dans les décors et accessoires. Un univers à la croisée de l’art, de la tradition régionale et de la foi.
« Je suis artisan d’art en provençal. C’est un domaine traditionnel dans la région Provence et dans le zéro six. On est quelques artisans, mais dans mon domaine à moi, particulièrement les décors accessoires, je suis le dernier. »
Dans son atelier niché dans la rue Saint-Sauveur, il façonne des objets uniques, entièrement réalisés à la main. Une singularité revendiquée, dans un monde d’automatisation et de standardisation. Chaque pièce naît sans moule, selon un processus parfois méthodique, parfois improvisé, toujours profondément incarné.
Le parcours de Nicolas Canet n’a rien de linéaire. Avant de poser ses outils d’artisan, il a longuement cherché sa voie. D’abord formé au design et à l’architecture d’intérieur, il a ensuite passé cinq années dans un séminaire, avec l’objectif de devenir prêtre. Une expérience fondatrice.
« Moi à la base, je suis architecte d’intérieur, designer de formation. Je suis également passé par cinq années de séminaire dans une congrégation religieuse pour être prêtre. »
Ce parcours atypique nourrit aujourd’hui son rapport à la matière et au temps. Son atelier est devenu un ermitage, un lieu de retraite créative autant que de méditation active.
« C’est un peu à la confluence de tous les chemins : entre le design, l’architecture, la spiritualité. »
Dans ce cocon de silence et de concentration, Nicolas sculpte, peint, modèle… avec une rigueur extrême. Il revendique une forme d’ascèse, loin du tumulte numérique.
« C’est vraiment de la patience et de l’endurance quelque part aussi, parce que c’est beaucoup d’heures de travail. Alors moi je travaille de manière très particulière, je fais tout à la main. Je n’ai pas de moule. »
Le processus de création peut naître d’un croquis comme d’une impulsion soudaine. Ce qu’il appelle, dans un vocabulaire teinté de mystique chrétienne, le kairos — le moment juste.
« Parfois, c’est un travail en amont de dessin, de croquis, de recherche, et parfois c’est la grande improvisation. […] En termes chrétiens, on appelle ça le kairos, le moment où les choses se réalisent. »
Il parle d’alignement, d’inspiration, d’écriture automatique… mais avec de la terre et des pigments plutôt qu’un stylo. Un artisanat habité, où la main devient vecteur d’âme.
Mais Nicolas Canet ne s’arrête pas à la création. Depuis quatre ans, il participe aux marches nocturnes du Cannet, durant lesquelles son atelier s’ouvre au public. Ce rendez-vous régulier ne vise pas à vendre, mais à initier.
« Ça m’ouvre pas forcément de marché en termes économiques. Par contre, ce qui est intéressant, c’est que ça me permet de transmettre. »
Son public de prédilection ? Les enfants, souvent hypnotisés par les écrans, qu’il tente de ramener au réel par le geste et la matière.
« Ça me permet de leur faire toucher la terre, de leur faire toucher la peinture. C’est une activité d’éveil. »
Ces séances de découverte sont brèves, mais marquantes. Il y voit un acte presque militant, une manière d’arracher une génération entière à la virtualité.
Pour Nicolas, la main est plus qu’un outil : c’est une voie d’apprentissage, une école de la présence. Là où les écrans livrent des contenus prémâchés, l’artisan propose aux enfants de créer eux-mêmes.
« Je leur propose de créer un contenu en 3D, pas du virtuel. Quand ils repartent d’ici, ils ont fait un objet. Et avant qu’ils ne le fassent, cet objet n’existait pas. »
Un acte simple, mais profondément symbolique. Dans une société où tout est fugace, créer une pièce tangible donne du poids à l’expérience. L’objet réalisé devient ancrage dans le réel.
« Une fois qu’ils l’ont fait, l’objet existe, il a une place dans le réel. Et ce réel devient le leur plus que le virtuel. »
Cette pédagogie par la matière, Nicolas la considère comme un acte de transmission. Pas forcément d’un métier, mais d’un savoir-faire, d’un rapport au monde.
Nicolas travaille la terre, mais aussi le bois, les pigments, et d’autres matériaux nobles. Il évoque son processus comme une forme d’écriture automatique, mais incarnée.
« C’est la terre qui improvise, et en improvisant, elle se laisse guider. Un peu comme quelqu’un qui ferait une sorte d’écriture automatique, sauf que là, l’automatisme, c’est vraiment le travail de la matière. »
Ici, pas de plan rigide, pas de modèle prédéfini. Chaque pièce raconte une histoire, à la fois singulière et intemporelle. Chaque geste s’inscrit dans une tradition, mais sans jamais s’y enfermer.
Ce lien entre matière et intuition, entre inspiration et exécution, est au cœur de son travail. Un travail qui ne cherche pas à produire, mais à révéler.
Le travail de Nicolas Canet est aussi un acte de foi, au sens large. Foi dans la matière, foi dans la transmission, foi dans l’éveil de l’autre. Lorsqu’il ouvre son atelier, ce n’est pas pour montrer un produit fini, mais pour proposer une rencontre.
« Ce n’est pas un métier à proprement parler que je transmets, mais un savoir-faire. »
Dans un monde pressé, productiviste et saturé d’images, son approche artisanale est un contrepoint apaisant. Un rappel que l’on peut encore créer lentement, avec ses mains, sans l’intermédiation d’un écran.
Nicolas le dit sans détour : il n’est pas là pour sauver un métier, ni pour faire du chiffre. Ce qui l’anime, c’est cette capacité à transformer un enfant scotché à une tablette en petit créateur d’univers tangibles.
« Ne serait-ce que pour un quart d’heure, leur faire sortir la tête de leur tablette. »
Et cela suffit. Parce qu’en touchant la matière, en façonnant un objet, ces jeunes reprennent contact avec une dimension oubliée de leur humanité : la création incarnée, non médiée, essentielle.
Si Nicolas Canet est aujourd’hui le dernier dans son domaine, il ne se pose pas en gardien nostalgique d’un passé révolu. Il est un passeur. Un veilleur. Peut-être aussi un semeur, qui espère que chez un enfant, un geste simple fera germer une vocation.
« Quand ils repartent d’ici, ils ont fait un objet. »
Et si demain, parmi eux, l’un décidait à son tour de transmettre, alors le fil ne serait pas rompu.
RS + IA
21 août 2025