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Au Cannet, Patricia Bonnet transforme des matériaux ordinaires en tableaux singuliers. Elle appelle sa pratique une « sculpture sur toile ». Un geste sensible. Un travail de patience. Et une obsession assumée : donner forme, avec des matières recyclées, à ce qu’elle nomme tout simplement « ses rêves ».
La formule tombe, claire, posée. Patricia Bonnet ne cherche ni l’esbroufe ni l’effet de manche. Elle veut peindre ses rêves. L’insaisissable rendu visible, couche après couche, relief après relief. Ce rêve-là n’est pas conceptuel. Il est tactile, granuleux, avec des arêtes et des creux. Il demande des matières, des fonds, des couleurs. Il exige une présence au geste. Elle l’avoue sans détour : c’est « tout simplement » cela qui la guide.
La simplicité, chez elle, n’est pas un retrait. C’est une ligne de conduite. Elle consiste à regarder autrement les objets du quotidien, à se demander ce qu’ils peuvent devenir une fois collés, peints, patinés. Le rêve, ici, n’est pas un ailleurs. Il habite la toile comme un relief naissant. C’est un rêve qui se touche.
Son portrait démarre à la première personne. Elle se dit « passionnée », multipliant les activités, « beaucoup, beaucoup de choses ». Mais la peinture s’est imposée. Elle lui « fait énormément de bien ». Une pratique ancrée dans le corps, nourrie par l’énergie du mouvement et l’attention au rythme. Le sport et l’art, chez Patricia Bonnet, ne s’opposent pas : ils se répondent. L’un aiguise l’endurance, l’autre l’écoute. Tous deux demandent discipline et souffle long.
Ce bénéfice intime, elle ne le théorise pas. Elle le vit. « Je fais ça vraiment avec mon cœur », dit-elle. La formule paraîtra simple, là encore, mais elle décrit un engagement. Celui de se laisser traverser par une humeur, de l’accueillir et de la traduire en formes, en volumes, en couleurs. C’est sa règle et son baromètre.
L’A.C.C.A. — Association cannetane pour la Culture et les Arts — est une structure locale qui se donne pour mission de promouvoir l’action culturelle sous diverses formes d’expression artistiques. Elle propose différents ateliers créatifs et dispose d’une salle d’exposition ouverte toute l’année. Pour Patricia Bonnet, cette association représente un cadre d’échanges et de visibilité.
Ce n’est pas anecdotique : montrer, c’est accepter le regard de l’autre sur des pièces très personnelles. C’est aussi faire circuler des techniques et des idées. Dans ces rendez-vous, Patricia Bonnet n’exhibe pas des surfaces lisses. Elle présente des toiles devenues terrains, façonnées de bosses, de plis, de crevasses. La peinture n’y recouvre pas : elle révèle.
L’A.C.C.A., dans ce récit, n’est pas seulement un bras logistique. C’est un relais de confiance. Une passerelle entre l’atelier et la salle d’exposition. Une incitation à continuer, à produire, à chercher. Elle le dit d’une voix simple : l’association « nous » aide. Le « nous » compte. Il ancre sa démarche dans un partage.
L’expression intrigue, mais elle décrit précisément sa méthode. Patricia Bonnet ne travaille pas la pâte à modeler, le bois ou la pierre. Elle sculpte le support. Elle construit la toile comme un volume. Le geste premier n’est pas d’étaler la peinture, mais de coller des matières, de bâtir une topographie. À partir de matériaux recyclés, elle fait naître des reliefs qui capteront la lumière différemment. Puis vient la couleur, qui « fait ressortir » ce paysage tactile.
Cette inversion du processus — le volume avant la teinte — change le regard. Le plan devient presque un bas-relief. La peinture n’est plus seulement chromatique, elle est architecturée. Elle se lit en oblique, en rasante. Elle invite à approcher la surface, à suivre les rides, à comprendre comment un pli de papier bulle, une fibre de papier de soie ou un filet tissé produisent des ombres, des accroches, des points d’arrachement.
Le choix des matériaux est un manifeste discret. Le recyclé n’est pas un simple substitut. C’est une ressource créative. Le papier de soie donne une nervure fine, fragile. Le papier bulle installe des cratères minuscules, comme une constellation de points en relief. « Tout ce qui peut se coller » devient potentiel, à condition d’être « travaillé », plié, froissé, tendu. La colle est l’outil d’assemblage, la gravité une alliée, la patience une nécessité.
Patricia Bonnet décrit une chaîne claire : collage de la matière, pose d’un « fond », puis couleurs. Le fond unifie. Il scelle la topographie et crée une base où les pigments accrochent. Les couleurs, ensuite, ne viennent pas recouvrir par hasard. Elles cherchent les rebords, soulignent les bosses, éclairent les vallées. Cette logique de couches affirme l’unicité de chaque tableau. Rien ne se répète tout à fait, parce que la matière, vivante, réagit à sa manière.
L’unicité n’est pas une proclamation marketing. Elle découle mécaniquement du procédé. Dès lors que l’artiste incorpore des fragments réels — filets, papiers, textures — et qu’elle laisse faire la main, le geste, l’erreur productive, la pièce qui naît possède sa propre géographie. On peut en rapprocher deux, jamais les confondre. Cette singularité, elle la revendique sobrement, comme une évidence de l’atelier.
Unique, parce que les humeurs changent. Unique, parce que chaque filet a sa trame. Unique, parce que le froissage du papier ne se répète pas. Unique, enfin, parce que la couleur choisie le jour J ne sera pas celle du lendemain. L’œuvre, chez Patricia Bonnet, épouse cette variabilité. Elle assume le vivant dans la matière.
Le détail surprend, et il dit l’essentiel. Le filet des oignons, en tissu maillé, finit lavé, séché, incorporé. Dans la toile, ce simple sachet devient structure, grille, écho de paysages urbains ou littoraux. Il crée des trames à la manière d’un pochoir souple. Il sépare et relie, filtre et accroche. L’objet domestique, modeste, devient pictural. L’économie du geste rejoint l’économie des matériaux. Le quotidien, réenchanté.
Ce recyclage méthodique raconte une attention aux cycles. Rien n’est perdu. Tout est susceptible de seconde vie. L’art ne prélève pas nécessairement du neuf. Il recompose l’existant. Le filet d’oignons n’est pas la seule trouvaille. Mais il résume une approche : regarder ce que l’on a sous la main et lui offrir une fonction esthétique.
La phrase est brève, et c’est tout un programme. L’humeur oriente les gestes, le tempo, la densité des couleurs. Jour d’élan : les collages s’empilent, les reliefs s’affirment, la palette s’ouvre. Jour de calme : les couches se posent avec retenue, les teintes se fondent, la surface respire. Cette disponibilité à soi ne signifie pas caprice. C’est un protocole souple, une écoute active. La main suit l’état intérieur, mais elle respecte la logique matérielle du tableau.
Peindre selon l’humeur, c’est aussi accepter le temps long. Aller vite pour le collage, ralentir à la pose du fond, accélérer à nouveau lorsque la lumière apparaît. La toile devient un sismographe intime. Les reliefs notent une impatience, les glacis apaisent. La couleur tranche, puis nuance. Le résultat, toujours, surprend un peu son autrice. C’est la marque des processus vivants : ils dépassent celles et ceux qui les initient.
« Avec mon cœur », dit-elle, deux fois, presque comme pour s’assurer que le message passe. Le cœur, ici, n’est pas une figure de style. C’est une boussole. Il permet d’orienter des choix concrets : quelle matière coller, quelle densité de fond, quelle amplitude de couleur. Il indique quand s’arrêter, quand reprendre. Il protège des automatismes. Il rappelle que l’art, même artisan, même méthodique, est une affaire d’engagement.
À l’atelier, cela se traduit par des décisions simples : garder une aspérité plutôt que la lisser, laisser visible une couture du filet, souligner un pli au lieu de le masquer. Le cœur sait reconnaître la petite imperfection qui donne vie à l’ensemble. L’œil rationalise après coup. Le cœur, lui, sent d’abord.
Le dispositif de Patricia Bonnet transforme la peinture en cartographie. À l’échelle de la toile, les papiers de soie deviennent des dunes. Les bulles, des chapelets de collines. Le filet, un quadrillage qui évoque des champs vus du ciel. Ces paysages ne sont pas mimétiques. Ils naissent des propriétés physiques des matériaux. De leur résistance, de leur capacité à boire la colle, à rejeter la peinture, à accrocher la lumière.
Le « fond » est comme une météo. Il homogénéise, voile, pacifie. Puis la couleur intervient en météorologue attentif. Elle souligne les zones hautes, plonge dans les creux, trace des isohypses chromatiques. Le résultat dépend du dialogue entre hasard et contrôle. Entre ce que fait la matière et ce que décide la main. Entre ce que l’artiste projette et ce que la toile impose.
On pourrait croire ce travail improvisé. Il ne l’est pas. Il suppose une discipline : préparer les supports, nettoyer les matières récupérées — elle le précise à propos du filet à oignons —, veiller à la tenue des collages, laisser sécher, reprendre, superposer. L’atelier est un lieu d’ordres successifs. On y manie la colle en technicienne, on y dose la peinture en coloriste, on y écoute l’humeur en autrice. Ces compétences se nouent autour d’un même objectif : faire advenir une surface qui respire.
Cette discipline n’étouffe pas le rêve. Elle le rend possible. Car le rêve, pour prendre forme, a besoin d’un cadre. D’un protocole répétable, adaptable, transmissible. Patricia Bonnet le connaît et le pratique. C’est ce qui lui permet d’accueillir des trouvailles — un nouveau papier, une maille différente — sans perdre la cohérence de sa série.
Lorsque l’A.C.C.A. expose ses œuvres, la rencontre s’ouvre. Des visiteurs passent la main, presque malgré eux, sur les reliefs — la tentation est grande. Ils cherchent comment c’est fait. Ils devinent un filet, reconnaissent le papier bulle, s’étonnent du papier de soie. Le tableau raconte alors deux histoires : celle du motif et celle de la matière. L’une emporte l’œil, l’autre retient la curiosité. Cette double lecture crée une intimité avec l’œuvre : on y voit, on y touche des choses connues, déplacées.
Montrer, c’est aussi prendre position. Dire que l’art peut naître d’un sachet d’oignons, c’est inviter à reconsidérer notre regard sur les déchets, sur le peu, sur le banal. C’est affirmer que la valeur esthétique n’est pas proportionnelle au coût de la matière. Elle dépend du travail, du sens, de la justesse du geste.
Dans le récit de Patricia Bonnet, la couleur arrive « après ». Après le collage, après le fond. Elle n’est pas décor, elle est révélatrice. Elle tire parti de la topographie, comme une lumière qui choisit ses angles. D’où cette sensation de tableaux vibrants, où l’œil accroche des zones et en perd d’autres, où l’on voit davantage en se déplaçant. La couleur est complice des reliefs. Elle s’y dépose, les contourne, les rehausse. Elle en fait des signes.
Peut-être est-ce là que l’humeur pèse le plus. Une gamme chaude appelle l’élan, une gamme froide installe le retrait. Les transitions, elles, signalent le passage d’un état à un autre. Rien d’ostentatoire : l’artiste privilégie la lisibilité des volumes. Les teintes servent le tracé, jamais l’inverse.
Le mot revient au début et irrigue tout le reste. Rêver, ici, ce n’est pas s’évader. C’est prêter attention. C’est voir dans un filet une trame, dans un papier un relief, dans un pli une forme. C’est accepter que la toile soit d’abord un espace de matières. Et que la peinture, à la fin, ne vienne pas recouvrir mais révéler. Patricia Bonnet le dit sans discours théorique. Elle le pratique. Elle « essaye de reproduire ses rêves sur toile ». Et l’essai, à force, devient œuvre.
Le rêve prend parfois la forme d’un motif. Parfois celle d’une simple pulsation de couleurs. Parfois, il s’énonce en creux, dans les blancs, dans les silences de la surface. Mais il demeure la boussole. D’où l’impression de cohérence, d’une pièce à l’autre, malgré l’unicité revendiquée.
Il serait tentant d’en faire un manifeste environnemental. Ce n’est pas ainsi qu’elle s’exprime. Elle parle « matières recyclables » parce que ces matières servent la forme, parce qu’elles répondent au geste, parce qu’elles tiennent la colle et dialoguent avec la lumière. La valeur d’usage précède la valeur morale. Mais l’effet est là : l’art redonne de la dignité à des déchets, au passage. Il fabrique du sens avec du peu. Il prouve que l’attention et la patience transforment.
Cette économie de moyens n’est pas un renoncement. C’est un parti pris esthétique. Un choix d’atelier. Il demande des yeux ouverts sur le monde — le rayon légumes comme le fond d’un tiroir — et la capacité de reconnaître le potentiel d’une maille, d’un grain, d’une pellicule. L’artiste, alors, devient une passeuse : elle fait circuler les objets d’un usage à l’autre, d’une fonction utilitaire à une présence plastique.
On retient une voix posée. Des phrases courtes. Le refus des détours. On retient surtout un protocole clair : coller, fondre, colorer. Et une conviction : chaque tableau doit « être unique ». Parce qu’il naît d’un jour, d’une humeur, d’une matière trouvée. Il est ancré dans l’expérience de celle qui le fabrique et de celles et ceux qui le regardent.
On imagine l’atelier. Des filets lavés, étendus. Des papiers de soie qui bruissent. Des chutes de papier bulle qui attendent leur heure. Une table tachée de colle. Des brosses, des pigments, des fonds prêts. Et, au milieu, une artiste qui travaille « avec son cœur », attentive à ce que la matière lui dit. Ce n’est pas spectaculaire. C’est juste, exactement, la place où le rêve prend corps.
SDZ + IA