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Au festival du carnet de voyage de Fréjus, Patrick Jacqmot, venu de Belgique, partage bien plus que des dessins : une philosophie du déplacement, ancrée dans le regard, la patience et le papier. Rencontre avec un carnettiste pour qui chaque croquis est un souvenir vivant, loin des clichés figés des smartphones.
Patrick Jacqmot se définit comme "carnettiste", un mot qui sonne modeste pour désigner une pratique artistique intime et profonde. Depuis la Belgique, il parcourt le monde avec ses feutres, son aquarelle et surtout son regard affûté. Ce qui l'anime ? "Garder des souvenirs sur carnet par rapport aux endroits qu'on découvre. Je préfère perdre mon passeport que mon carnet", affirme-t-il d’emblée.
Le carnet n’est pas un simple support graphique, mais un compagnon de voyage, un miroir de l’expérience vécue. Loin de la frénésie des clichés numériques, Patrick s’offre le luxe de la lenteur. Il observe, s’installe, ressent : "C’est un voyage automatiquement plus long parce qu’on s’arrête dans les endroits. Mais on en profite 100 fois plus."
Au fil des années, le carnet de voyage est devenu un outil de rencontre. Dessiner sur place, c’est aussi créer du lien. "Le fait de dessiner, c’est un passeport sympathique. Les gens viennent vers vous, sont interpellés." Cette curiosité spontanée a mené Patrick dans des lieux insolites, bien loin des circuits touristiques classiques : accueilli dans des tribus africaines, logé dans des réserves, ou simplement invité à partager un moment de vie avec des inconnus.
L’émotion est souvent au cœur de cette démarche. Une fois l’instant passé, impossible de le recréer en atelier. "Tous mes dessins sont faits sur place. Une fois que je quitte un endroit, je n’ai plus la même émotion. Je travaille avec ce que je ressens sur le moment."
Mais le voyage continue aussi une fois rentré, avec la fabrication artisanale d’objets. Patrick travaille sur carton, un matériau qu’il affectionne particulièrement pour sa texture brute, souvent récupéré dans les poubelles. Il réalise des coffrets, des carnets reliés, des reproductions en autoédition. "Aujourd’hui, j’ai des coffrets en cartonné avec des carnets à l’intérieur. Ce sont des souvenirs que les gens peuvent emporter."
La matière choisie n’est pas anodine : "Sur un papier cartonné, l’acrylique blanche réhausse et donne un petit côté relief." Une façon d’ajouter de la profondeur au souvenir, un volume à la mémoire.
Le salon de Fréjus, comme d'autres festivals du carnet de voyage, a pour Patrick une grande importance. Il permet de partager ses carnets, mais surtout les histoires qui les accompagnent. "Faire des carnets, si ça reste dans un tiroir, ça a très peu d’intérêt." L’échange avec les visiteurs, les discussions autour des dessins, les récits racontés ou écoutés sont aussi essentiels que le coup de pinceau.
Il revendique une forme de transmission artisanale, directe, humaine : "Ce genre de salon permet de rencontrer les gens. Le carnet est découvert, et c’est super important."
Patrick ne tient pas en place. Cette année, il a dessiné au Zimbabwe, au Malawi, en Zambie, jusqu’en Tanzanie, avant de partir à Oman et récemment dans le sud du Maroc. Des destinations variées, mais une constante : l’envie de saisir l’instant.
À bord d’un camion, sous une tente ou dans les ruelles d’un village marocain, Patrick s’assied, sort son feutre permanent, ajoute de l’aquarelle, puis parfois une touche de gouache blanche. "Je travaille toujours avec moi", dit-il, soulignant que chaque carnet est aussi un carnet intérieur.
À l’heure où les souvenirs se stockent dans le cloud et les photos se perdent dans les galeries des téléphones, Patrick Jacqmot nous rappelle que voyager, c’est aussi regarder. Observer, s’imprégner, retranscrire. Ses carnets ne sont pas que des objets, ce sont des fragments de monde, dessinés à la main, offerts à l’œil, au cœur, à la mémoire.
DV + IA