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À la tête de Scène 55, théâtre pluridisciplinaire installé à Mougins, Pierre Caussin défend une culture qui sort des murs. Rencontre avec un directeur artistique qui veut que l’art aille vers tous les publics, et surtout ceux qui pensent que ce n’est pas pour eux.
Pierre Caussin parle vite, avec l’enthousiasme de ceux qui croient profondément en leur mission. À Mougins, petite ville de moins de 20 000 habitants dans les Alpes-Maritimes, il dirige Scène 55, un théâtre “pluridisciplinaire” qui fait la part belle à la danse contemporaine et à la marionnette, tout en accueillant aussi du théâtre, des concerts, de la magie et de l’humour. L’idée ? Proposer une offre large, sans renier ses axes forts.
“On garde un peu de tout, je dirais, mais avec ces deux axes forts que sont la danse et la marionnette”, résume-t-il simplement.
L’équipement est à la hauteur des ambitions. Un bâtiment récent, doté de 600 places assises — 1 200 en configuration concert — qui affirme d’emblée sa vocation d’envergure. Mais ce serait mal comprendre la vision de Pierre Caussin que de s’arrêter à la salle.
Car cette année, le mot d’ordre est clair : sortir. Sortir de la scène, sortir du théâtre, sortir des cadres.
“On a décidé d’essayer de sortir, aller passer dix jours dans un collège, proposer un apéro chorégraphique au village, investir les parcs à Mougins”, explique-t-il. L’enjeu : aller chercher ceux qui ne franchissent pas naturellement les portes du théâtre.
“On ne peut plus attendre que le public vienne à nous”, constate-t-il avec lucidité. “Il faut aussi que nous, on aille vers les publics.”
Le constat n’est pas nouveau, mais il reste brûlant d’actualité : malgré une fréquentation soutenue — certaines représentations sont régulièrement complètes —, Scène 55 n’atteint pas tout le monde. Une partie du public continue de penser que “le théâtre, ce n’est pas pour nous, c’est élitiste, ce n’est pas pour la jeunesse”.
Ce à quoi Pierre Caussin oppose une conviction simple : “Nous, ce qu’on essaye de faire, ça s’adresse à tout le monde, à toutes et tous.” D’où ce recentrage sur les lieux de vie : le village, les collèges, les parcs. Des espaces partagés, quotidiens, que la culture peut venir habiter sans préavis.
C’est aussi une manière de déconstruire les idées reçues sur les arts vivants. En sortant les spectacles de leur écrin habituel, Pierre Caussin espère renverser la logique de la distance culturelle. Ce n’est plus au spectateur de venir au théâtre, c’est au théâtre d’aller vers lui.
Il faut dire que le contexte local s’y prête. Mougins, au-delà de son apparente tranquillité de ville perchée provençale, est un territoire culturellement actif. Le bâtiment de Scène 55 a été construit par la commune, qui en est propriétaire. Et la dynamique va bien au-delà du théâtre.
“Il y a le centre de la photo, le FAM, l’École nationale supérieure de danse, le pôle d’enseignement artistique…”, énumère Pierre Caussin. Autant de structures avec lesquelles Scène 55 travaille ou cohabite. “C’est une ville très dynamique au niveau culturel.”
Dans ce tissu local, le théâtre joue un rôle moteur. “C’est la plus grosse structure culturelle de la ville”, note-t-il. Ce qui l’oblige aussi à se positionner comme un acteur fédérateur, un catalyseur.
La mission de Scène 55, telle que Pierre Caussin la conçoit, dépasse largement la programmation en salle. Il s’agit d’“irriguer tout le territoire avec de la culture et des artistes un peu partout”. Une image qui dit bien la volonté de dissémination, de capillarité.
Cela suppose une approche mobile, souple, qui s’adapte aux lieux, aux publics, aux contraintes. Il ne s’agit plus seulement de remplir la salle, mais de multiplier les points de contact avec la population, dans ses lieux de vie.
La culture devient ainsi un vecteur de lien, un outil d’émancipation, mais aussi de simple convivialité.
Pour aller encore plus loin, Scène 55 innove dès cette saison avec une initiative inédite : une double présentation de saison. La première, classique, se tient dans la salle, devant 600 personnes — complet. Mais la seconde vise un autre public.
“Une deuxième présentation qu’on va adresser plutôt aux familles”, explique Pierre Caussin. Elle se déroulera en plein air, au Jardin des Restanques, en plein cœur de Mougins, le samedi 7 juin.
L’objectif est clair : créer un moment convivial, festif, inclusif. “Tu peux venir avec tes enfants, les grands-parents… On parle uniquement de la programmation famille et jeunesse.”
Ce jour-là, de 14 h à 18 h, tout est pensé pour faciliter la rencontre : ateliers, spectacle, apéro. Une manière de désacraliser l’accès au spectacle vivant, de poser les bases d’une relation de confiance entre la structure et ses futurs spectateurs.
“On sera en discussion directe avec les familles pour leur conseiller les spectacles”, ajoute-t-il. Une relation humaine, directe, sans le filtre institutionnel.
C’est aussi l’occasion de croiser d’autres acteurs du territoire : centre de la photo, École nationale de danse, pôle d’enseignement artistique… toute une constellation d’énergies culturelles.
Ce que Pierre Caussin dessine, c’est une nouvelle géographie culturelle. Un théâtre qui ne se contente pas d’être un lieu, mais qui devient un mouvement. Un geste vers l’autre.
Dans un monde où les fractures sociales et culturelles s’accroissent, ce type d’initiatives prend une dimension presque politique. Refuser l’entre-soi, refuser la fermeture, affirmer que l’art peut être pour tous : voilà l’ambition.
Et elle se construit au quotidien, au fil des spectacles, des discussions, des expérimentations. Sans dogme, mais avec constance.
DB+IA 05/06/2025