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Roger B., retraité et passionné d’histoire, ne se contente pas de feuilleter des livres sur la Seconde Guerre mondiale : il la vit, au quotidien, dans le ronronnement d’un moteur de Dodge ou le cuir patiné d’une Jeep de 1953. Installé dans les Alpes-Maritimes, il collectionne et restaure des véhicules militaires américains avec un souci du détail qui confine à la dévotion.
Ce jour-là, il est à Grasse, invité par la mairie pour participer aux commémorations du 8 mai. “Le maire a fait les choses bien, il nous a invités le six pour les écoles, parce que le huit était férié,” raconte-t-il, toujours dans le souci de la transmission. “Nous avons tous été d’accord pour venir.”
Devant les enfants rassemblés dans la cour de l’école, Roger présente son matériel : un Dodge 4x4 et une Jeep utilisés lors de la Libération. “Je suis propriétaire du Dodge qui est derrière vous, et d’une Jeep de 1953, car elle a débarqué aussi à la Libération,” dit-il, les yeux pétillants.
Il ne se contente pas d’exposer ses véhicules : il les habille, les équipe, les raconte. “Tout est américain, les tenues, les équipements. C’est pour montrer aux jeunes comment les militaires étaient transportés, comment ils vivaient.” Pour Roger, chaque détail compte. Pas question de faire du faux ou de l’à-peu-près. La rigueur est presque militaire, justement.
Restaurer un véhicule militaire, c’est comme remonter le temps à la clé de douze. “Un an de travail, des centaines d’heures”, soupire-t-il en évoquant la Jeep désormais flamboyante. “C’était pas comme ça, il a fallu tout reconditionner.”
Mais la fatigue s’efface devant la fierté du résultat. “Un vrai de vrai,” répète-t-il avec insistance. Pour lui, la restauration n’est pas seulement une affaire de mécanique : c’est une mission de mémoire.
Il évoque “Géronimo”, une unité parachutiste américaine qui a sauté à La Motte pour couper la route aux troupes allemandes et faciliter le débarquement. “C’est tout con, mais c’est ça. Débarqués à La Motte en premier, pour que les autres puissent suivre.” Une anecdote parmi d’autres, toujours précise, toujours vivante.
Chaque pièce exposée raconte une histoire. Celle de ce véhicule équipé d’un coupe-câble, par exemple. “Les Allemands tendaient des câbles en travers des chemins pour décapiter les pilotes. Alors les Américains ont adapté leurs voitures pour éviter ça.”
L’engin présenté à Grasse est aussi une voiture radio. “C’est une voiture radio,” répète-t-il, comme pour s’assurer que l’auditoire comprend l’importance de cette spécificité. Une technologie rudimentaire mais essentielle à l’époque pour les communications entre unités sur le front.
Face à lui, les enfants écoutent, questionnent, s’étonnent. “Il y en a beaucoup qui comprennent. Peut-être parce que leurs parents leur ont déjà parlé un peu de cette période,” observe-t-il. “Ça fait plaisir à voir. Il y a beaucoup de curieux.”
C’est là le cœur de l’engagement de Roger : transmettre. Partager la mémoire de la guerre, mais sans pathos, sans héroïsation excessive. Simplement, montrer comment c’était. Comment eux, les soldats alliés, sont venus libérer la France, un véhicule après l’autre, une route après l’autre.
L’histoire familiale se mêle souvent à la grande. Roger raconte que son frère a été mobilisé pour la guerre d’Algérie. Le Dodge en est un témoin silencieux. “Le camion en 54, il a été démobilisé de la France pour aller en Algérie. C’est pour ça qu’il a traversé des airs de désert.”
Le passé ne se limite donc pas à 1944. Il s’étend jusqu’aux conflits coloniaux, aux souvenirs plus flous et plus douloureux parfois. Mais toujours avec cette même volonté : ne pas oublier.
Dans son approche, Roger fait figure d’archéologue de la mécanique. Il parle d’un véhicule “spécifique” équipé pour le désert algérien. “C’est équipé d’un petit cahier, et à l’intérieur, on voit les blocages, tout est époque.”
Il ne montre pas une simple collection. Il reconstitue, il anime, il contextualise. Chaque objet a son histoire, chaque détail son importance. “C’est tout époque, un tel courrier,” dit-il en désignant un compartiment de transport de troupes.
Roger n’utilise jamais le mot “devoir”, mais c’est bien ce qui transparait dans son engagement. Il ne cherche pas la reconnaissance, ni les projecteurs. Il veut juste que l’on se souvienne. Et pour cela, il met ses mains dans le cambouis, il chausse l’uniforme, il aligne les dates et les modèles.
“Nos parents ont fait la guerre. Mon frère l’Algérie. C’est une partie de notre histoire. Il faut la faire vivre.” Difficile de dire mieux.
DV + IA