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À Belvédère, petit village perché des Alpes-Maritimes, vit un homme dont le quotidien s’ancre profondément dans une philosophie héritée des peuples premiers d’Amérique. Aimé Stéphane, ou Topa comme il se fait appeler dans la tradition amérindienne, n’est pas un artisan comme les autres. Il fabrique des bâtons de marche, des cannes, des sculptures, mais chaque pièce porte en elle une dimension sacrée.
Son nom d’artiste, Topa, il l’a adopté en 1994, lors de sa première immersion dans les réserves canadiennes. Depuis, il suit les rituels et les valeurs des peuples autochtones. « Je suis leur culture parce que c’est très proche de la nature. » Il y retourne régulièrement, attiré par ce mode de vie où l’homme ne domine pas, mais communie avec les éléments.
L’art de Topa est indissociable d’un mode de vie. Chaque jour commence par une prière. « Quelques mots pour remercier le Créateur de nous avoir donné cette nouvelle journée. » À la fin de la journée aussi, la gratitude est de mise. Cette spiritualité, il ne la vit pas comme une croyance lointaine mais comme un ancrage concret, qui oriente ses gestes, ses créations et sa relation au monde.
Topa ne travaille pas le bois comme un sculpteur classique. Il collecte les matériaux lors de ses longues marches en forêt : noisetier, pin, bois de cerf abîmé… Rien n’est pris, tout est reçu.
Un exemple ? « Voilà un petit pin où un chevreuil s’est frotté. Il était voué à mourir. Je l’ai récupéré, traité, et j’ai fixé le petit bois de chevreuil à son extrémité. » Pour lui, chaque élément a une histoire, un vécu, une force. Rien n’est jeté, tout est transformé.
L’un de ses bâtons les plus parlants est une véritable encyclopédie de la faune. Il y a gravé les empreintes du lynx, du renard, du loup, de l’ours, du sanglier, du cerf, du lapin, et même du grand tétras, cet oiseau mythique des montagnes russes. « J’ai gravé le coureur des bois », dit-il. Chez les Amérindiens, ces messagers passaient de tribu en tribu, laissant des signes. Topa perpétue cette tradition, mais à travers le bois.
Au-delà de la sculpture, Topa s’attache à transmettre des symboles culturels forts. Parmi ses créations, les « bâtons de parole » sont emblématiques. Ils servent dans les cercles de parole des conseils traditionnels : « Celui qui a le bâton peut parler sans être interrompu. » Un outil de dialogue et d’écoute que Topa aimerait voir entre les mains des décideurs contemporains : « Les maires et les présidents de gouvernement, ils feraient bien d’en avoir un peu. »
Son art ne se limite pas au bois. Il peint aussi des toiles inspirées de la cosmogonie amérindienne, avec un style proche des Algonquins. L’une de ses œuvres représente l’aigle Tonnerre, messager du Créateur, entouré de plumes et de perles. Un hommage vibrant à une culture où chaque animal, chaque signe, chaque élément naturel a sa place et sa signification.
Qu’il s’agisse d’un bois de cerf ou de l’écorce d’un arbre, Topa voit dans chaque forme une mémoire. Ses mains n’imposent rien, elles révèlent. « Quand ils sont abîmés, je les sculpte. » Il ne cherche pas la perfection mais la vérité du matériau. Un art brut, au sens noble, né du respect du vivant.
À une époque où l’artisanat devient souvent marchandisation, Topa incarne une autre voie : celle de la lenteur, de l’écoute, de la nature comme co-auteur. Ses créations ne sont pas seulement belles, elles sont habitées. Habitées par les esprits, les animaux, les peuples anciens. Par une vision du monde dans laquelle l’humain ne cherche pas à s’élever au-dessus, mais à être à sa juste place.
Aimé Stéphane ne fait pas que sculpter le bois. Il sculpte une vie, une philosophie, un lien entre les mondes. Ses bâtons, ses toiles, ses sculptures ne sont pas des objets : ce sont des récits, des transmissions. À qui veut bien les prendre en main, ils murmurent un message ancien, urgent et simple : écouter, respecter, remercier.
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