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Lors du Festival du Livre organisé dans le cœur du Colorado niçois, Véronique Armand Charpenel est venue partager une histoire de migration, de mémoire et de filiation. Entre les Alpes et le Mexique, entre Barcelonnette et l’ailleurs, son livre résonne comme un pont entre deux mondes, et deux héritages. Rencontre avec une autrice pour qui l’écriture a été autant un voyage intérieur qu’un acte de transmission.
Tout commence par un territoire. Celui du Colorado niçois, dont les reliefs rouges et escarpés rappellent les paysages de l’Ouest américain, mais aussi les confins des Alpes de Haute-Provence. C’est ici, au cœur de ces montagnes qui ont vu partir tant de familles vers le Mexique au XIXe siècle, que Véronique Armand Charpenel vient présenter son premier – et dernier – livre.
« L’histoire est née des montagnes », confie-t-elle d’emblée. Et pour cause : ce récit, qu’elle qualifie d’« historico-autobiographique », puise dans ses deux racines. D’un côté, Barcelonnette, et son histoire migratoire vers l’Amérique latine. De l’autre, le Mexique, terre d’accueil et d’exil, mais aussi de métissage et de réinvention.
« Je me suis aperçue qu’elles se ressemblaient les deux : ce sont mes deux berceaux. Je me suis dit : il faut que j’en fasse quelque chose. » Ces mots, sobres et puissants, révèlent l’intention profonde de l’autrice. Son livre n’est pas un roman. C’est une mémoire recomposée, un tissu d’histoires familiales, de migrations, de retours impossibles.
Son nom en témoigne : Véronique Armand Charpenel. Ou plus précisément : Véronique Armand Charpin Elle, nom de plume qu’elle explicite avec soin. « Charpin Elle, parce que c’est le nom d’origine de ma mère, de Barcelonnette. Et Armand, c’est le nom de mon père, du Mexique. » Deux lignées, deux continents, réunis dans une même identité.
Le terme qu’elle emploie pour qualifier son livre est révélateur : « historico-autobiographique ». Une fiction, certes, mais tissée de faits réels, de lettres, de souvenirs, de témoignages. Elle y raconte les départs de ses ancêtres vers le Mexique. Ces hommes et femmes partis « de Barcelonnette au Mexique, et d’une autre région de France au Mexique ». Des trajectoires croisées, souvent oubliées, qu’elle exhume avec pudeur.
Mais le livre ne se limite pas à ces récits du passé. Il évoque aussi sa propre vie. Celle d’une femme née entre deux cultures, tiraillée entre deux langues, deux histoires. « Ensuite, ma vie ici, avec le déracinement que tout ça implique, et toute la complication que ça implique de s’habituer à un autre continent, à une autre langue, à d’autres habitudes. »
Étrangement, l’écriture de ce livre n’était pas préméditée. « C’est venu complètement par hasard », confie-t-elle. Un jour, elle ressent le besoin d’écrire. Pas par ambition littéraire. Par nécessité. Comme une thérapie. « Psychologiquement, besoin. »
Elle se met à coucher les mots sur le papier, à raconter les histoires que personne ne lui a demandées, mais qu’elle ne pouvait plus garder pour elle. Trois ans et demi plus tard, le livre est terminé. Publié en autoédition.
Malgré le succès de sa démarche, Véronique Armand Charpenel est catégorique : « C’est le premier, et ce sera le dernier. » Non par lassitude, mais par lucidité. L’autoédition est un parcours du combattant. Il faut tout faire soi-même : écrire, publier, promouvoir. Et il est difficile d’en vivre. « C’est très compliqué en autoédition : de sortir un livre, de l’écrire, de le sortir, de le promouvoir, de gagner un peu d’argent. »
Elle n’en garde pourtant aucun regret. Ce livre, elle l’a écrit pour partager. Pour transmettre. Pour laisser une trace. « C’est ça, c’est le partage en fait. »
Le choix de présenter ce livre dans le Colorado niçois ne doit rien au hasard. Cette région, aux portes de la Vallée de l’Ubaye, est elle-même un territoire de mémoire. Ici, les noms de famille portent l’écho des migrations. De nombreuses familles sont parties chercher fortune au Mexique, à Guadalajara, Monterrey ou Mexico, avant de revenir, parfois, bâtir des villas extravagantes ou transmettre leur histoire en silence.
Dans ce décor rougeoyant et minéral, les mots de Véronique Armand Charpenel résonnent comme un écho aux voix du passé. Son récit s’inscrit dans une lignée, mais il donne aussi une voix à ceux qui, comme elle, ont grandi entre deux mondes.
Ce qui touche dans ce livre, au-delà de la dimension autobiographique, c’est sa portée universelle. Car l’histoire qu’elle raconte – celle du départ, de l’exil, de l’identité recomposée – est celle de milliers d’autres familles, en France comme ailleurs.
En choisissant de mêler histoire familiale et histoire collective, Véronique Armand Charpenel ouvre un espace de dialogue. Son récit devient un miroir tendu aux lecteurs et lectrices, qu’ils soient enfants d’émigrés, voyageurs, ou simplement en quête de leurs racines.
À l’heure où la littérature cherche souvent à séduire, à plaire, Véronique Armand Charpenel choisit une autre voie : celle de la sincérité. Elle n’écrit pas pour être lue par des milliers de lecteurs. Elle écrit pour que cette histoire existe. Pour qu’elle soit dite, entendue, transmise.
Et dans le cadre intimiste de ce Festival du Livre, au cœur du Colorado niçois, sa voix trouve un écho. Entre les collines ocre et les cèdres noueux, les mots de son livre prennent racine.
Il faut aussi saluer le courage d’une autrice qui a osé faire un livre avec peu de moyens, mais beaucoup d’humanité. Son témoignage, fragile et fort à la fois, nous rappelle que l’histoire ne s’écrit pas seule. Qu’elle est faite de fragments, de fils invisibles, de voix minoritaires.
Le livre de Véronique Armand Charpenel n’est peut-être pas un best-seller. Mais il est essentiel. Parce qu’il dit ce que tant de livres oublient : que chaque parcours compte. Que chaque racine mérite d’être entendue.
SDZ + IA